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DOSSIER - PRODUCTEURS-NÉGOCIANTS : La tension monte - Enquête dans les régions

BORDEAUX La région se cherche

Colette Goinère - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 52

La campagne d'achat 2008-2009 a été désastreuse. Une partie de la production tient le négoce pour responsable. Elle se demande comment se passer de ce partenaire qui pèse extrêmement lourd.

Une récolte 2008 historiquement basse et des cours qui n'ont jamais décollé. Pire encore : la campagne d'achat 2008-2009 a été désastreuse, marquée par une baisse de 29 % des transactions en vrac par rapport à 2007-2008. Bordeaux, qui perd des marchés en France et à l'export, voit rouge. Et les relations entre le négoce et la production tournent au vinaigre.

« Avec un tonneau (900 litres) de bordeaux à 750 euros, le viticulteur ne peut que crier sur le négociant qui l'étrangle. C'est une réaction épidermique », explique Daniel Mouty. Le président du syndicat des vignerons indépendants d'Aquitaine ne ménage pas ses critiques vis-à-vis du négoce. Il le juge attentiste. Il estime qu'il ne vient chercher que des échantillons. « Or, nous avons besoin d'un négoce fort. On le cherche. On l'attend », s'enflamme-t-il.

« Depuis 2003, les partenariats volent en éclat »

« Les négociants ont été en faveur des partenariats lorsque les prix étaient hauts. Depuis 2003, ces partenariats ont volé en éclat. Les viticulteurs sont des numéros que l'on jette du jour au lendemain », lance Yves d'Amécourt, viticulteur en bordeaux et bergerac. Chez le négociant libournais Horeau Beylot, Anelyse Gardelle, la responsable export, reconnaît : « Nous sommes tributaires de nos stocks. Nous ne pouvons pas être très réactifs. Alors, nous laissons traîner les propositions des propriétaires. » De quoi mettre à mal la contractualisation.

Question : la production peut-elle se passer du négoce alors que celui-ci achète 75 à 80 % de ses vins, en vrac ou en bouteilles ? Oui, répond Daniel Fenelon, le coprésident du très remuant collectif inter-appellations créé en juillet dernier. « Le viticulteur doit prendre son destin en main. Il faut créer des plates-formes de commercialisation au travers de GIE et foncer à l'export vers des marchés émergents », explique-t-il.

Oui, répond aussi Bernard Vincent. A la tête du château Lamothe-Vincent, dans l'Entre-deux-Mers (82 ha, 4 000 hl), il a carrément pris un virage à 180 degrés dans les années quatre-vingt-dix. « Toute ma production partait en vrac au négoce. Je faisais de gros efforts en qualité. Non seulement le négoce bordelais n'était pas prêt à payer mais, surtout, il ne se remuait pas face à la concurrence des vins du Nouveau Monde », explique-t-il. Aujourd'hui, Bertrand Vincent produit 500 000 cols et en exporte 70 %.

Mais de tels exemples sont rares. Et beaucoup restent persuadés de l'intérêt de travailler avec le négoce. « Les partenariats ne sont pas assez développés », regrette Stéphane Héraud, président de la cave des Hauts de Gironde (550 coopérateurs, 200 000 hl). Depuis dix ans, sa coopérative travaille avec la Baronnie (société Baron Philippe de Rothschild). Elle lui livre 15 % de son volume à des prix supérieurs au marché.

De son côté, la cave coopérative de Rauzan, en Gironde, (250 coopérateurs, 165 000 hl) qui écoule 80 % de ses volumes au négoce, cherche de nouveaux appuis. « Nous voulons passer des partenariats sur la bouteille. Nous négocions avec Grands chais de France », indique son président, Denis Baro.

Jean-François Bruere, le président de la cave coopérative de Landerrouat, toujours en Gironde, (200 coopérateurs, 140 000 hl, 80 % vendus au négoce) lance : « Arrêtons de dire que c'est la faute du négoce si les prix sont bas. Il faut une organisation du marché vrac. Comment empêcher légalement que des viticulteurs pris à la gorge vendent à des prix très bas ? » Une partie de la réponse pourrait venir des réflexions que vient d'engager, dans la plus grande discrétion, un groupe de travail autour de Bernard Farges, le président de l'ODG Bordeaux et Bordeaux supérieurs.

Des projets capotent pour des questions d'hommes

Dans le même temps, les coopératives essaient de se concentrer pour attaquer directement les marchés. Pas facile. En 2008, le producteur et négociant Producta, l'union de caves coopératives Prodiffu (800 vignerons et 5 000 ha de vignes) et la cave des Hauts de Gironde ont tenté de mettre sur pied un service export commun. Le projet a capoté pour des questions d'hommes. « Que sommes-nous prêts à abandonner pour essayer de faire mieux ? » se demande Denis Baro.

« Nous ne sommes pas mûrs pour un regroupement au plan commercial, mais nous le sommes pour maîtriser la logistique », répond Yves d'Amécourt qui prône la création de plates-formes logistiques qui feraient du groupage et qui livreraient à la grande distribution.

Restent des problèmes à résoudre. « Si le marché ne redécolle pas, il faudra faire redescendre de la marge dans la filière en supprimant des intermédiaires », avertit Yves d'Amécourt. Sur ce plan-là, il doit y avoir quelque chose à réaliser quand on sait que 70 % de l'Entre-deux-Mers est livré à une centaine de maisons de négoce pour atterrir au final dans cinq centrales d'achats. Ces restructurations seront-elles subies ou anticipées ? Chez les courtiers, on a déjà la réponse : « Nous ne sommes plus que des préleveurs d'échantillons. Notre métier est condamné » lâche, amer, l'un d'eux.

Le Point de vue de

Jean-François Ossard, viticulteur sur 40 ha en bordeaux et bordeaux supérieur, à Pineuilh (Gironde)

« Un acheteur m'a appris à être patient avec mes vignes »

 © J.-B. LAFFITTE

© J.-B. LAFFITTE

« J'écoule 98 % de ma production auprès du négociant Ginestet depuis 2002. Avec lui, j'ai appris à regarder ma vigne, à être patient. Je signe un contrat écrit, renouvelable tous les ans, avec un cahier des charges. Ce contrat me trace le chemin : il me demande de veiller à l'homogénéité des parcelles, de respecter un plafond de rendement, de pratiquer l'ébourgeonnage, la taille en vert et l'effeuillage coté soleil levant.

D'avril à août, un technicien payé par Ginestet et moi arpente la propriété une fois par semaine pour donner ses conseils. C'est un œil extérieur bénéfique. Avec lui, j'ai appris à ne plus conduire le vignoble de manière systématique. Je ne mets plus autant d'engrais qu'avant. Idem avec l'oenologue du négociant qui détermine la date de vendange. Il m'a fait attendre la maturité du raisin.

Je voulais toujours vendanger rapidement. J'étais fébrile. Je suis plus confiant maintenant. En respectant le cahier des charges, je touche une prime de 100 euros du tonneau de 900 litres.

Dès 2004, j'ai aussi vinifié des blancs en barriques pour le négociant avec, à la clef, une prime de 150 euros du tonneau de 900 litres. Mais avec la crise et la nouvelle direction à la tête de Ginestet, je ne sais pas comment se profile l'avenir.

J'entends dire que la maison n'a pas reconduit tous ses partenariats dans l'Entre-deux-Mers, ce qui me préoccupe un peu. »

75 %

Le poids du négoce 75 % à 80 % des vins de Bordeaux sont commercialisés par le négoce

(Source : interprofession).

Les trois premiers acheteurs

1. Castel

2. Baron Philippe de Rothschild

3. Caves de Landiras (Grands chais de France et CVBG)

(Evaluation « La Vigne » d'après des sources professionnelles)

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :