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archiveXML - 1999

L'année du choc culturel

La vigne - n°95 - janvier 1999 - page 0

L'exercice écoulé a été très dur. Une manifestation historique a bloqué la région à l'automne. Au-delà de la mévente en Asie, ce sont toutes les relations négoce-production qu'il faut revoir ainsi que la place réelle du cognac dans un vignoble surdimensionné de 80 000 ha. C'est le désarroi chez nombre de producteurs. Le négoce licencie.

Les Charentes sont sous les feux de l'actualité : dans une France viticole où les indicateurs sont au vert, le pays du cognac (avec le rivesaltes et l'armagnac) détonne. Mévente, désarroi, restructuration, diversification nécessaire, plan d'adaptation, revenus à la baisse, appel aux banques, aux pouvoirs publics et aux collectivités locales... tous les ingrédients de la crise profonde sont là. Il ne s'agit plus d'échafauder des plans de replâtrage mais de traiter le mal en profondeur.Evidemment, ce n'est pas facile et cela prendra du temps : des habitudes sont prises (celle du cognac-roi), le vignoble est immense (80 000 ha en production) et les hommes à convaincre nombreux (17 300 déclarants). D'où un discours pour la méthode : ' Avancer par étape et rechercher le consensus ', propose-t-on. Alors procédons par ordre, sachant que des problèmes structurels et conjoncturels se télescopent.D'abord le fond : 1998 a confirmé que le cognac ne pouvait plus, à lui seul, absorber la colossale production des deux départements, Charente et Charente-Maritime. Un peu plus de 9 millions d'hectolitres (Mhl) produits en 1998 (degré moyen de 9,2 % vol.) pour 9,9 Mhl en 1997. Moins de la moitié est distillée pour obtenir du cognac! Les marchés sont à la baisse. ' 50 000 ha de vignoble suffiraient... ', avance un responsable, un brin provocateur. Pour la campagne de distillation en cours, on table sur 370 000 hl d'alcool pur (QNV - quantité normalement vinifiée - sur la base de 6 hl d'alcool pur par hectare).Double solution en vue : réduire les superficies ou travailler sérieusement des produits autres. ' Nous sommes contre l'arrachage ', s'écrie haut et fort le syndicalisme général. Sur le terrain, des plans récents ont échoué : même à plus de 100 000 F/ha (prime ' normale ' de 50 000 F environ, plus des aides complémentaires), peu de vignerons furent intéressés. Dans le cadre d'un énième plan proposé par les pouvoirs publics en novembre, une telle disposition revient, au milieu d'autres..., mais avec moins de surprime : + 10 000 F/ha sur la première tranche des 1 000 ha volontaires.Pour le volet de la diversification, une prise de conscience collective a eu lieu. Il faut dire que dans les Charentes, à tort, cette question n'a jamais fait l'objet d'une stratégie globale. Les moûts utilisés pour l'élaboration du pineau des Charentes se montent à 77 000 hl, ce qui représente une baisse de 14 % par rapport à 1997 et de 26 % sur 1995. Pour les vins de pays charentais, nous avons 124 500 hl, en forte augmentation sur 1997 (+ 128 %). Par rapport à la masse du vignoble, c'est assez réduit.On estime par ailleurs que 1,4 Mhl vont sur le marché des vins de table et des vins de base et que, suivant les années, on abonde aussi le marché des jus de raisin. Nous n'avons pas encore le compte, même si les producteurs devraient aussi massivement souscrire à la distillation préventive (1 Mhl). Au total, cela donne une kyrielle de débouchés, pas toujours très clairs; certains essaient même les effervescents. Nombre de producteurs sont déboussolés. ' Avec cette crise, rien ne sera plus comme avant ', entend-on.' Ici, la diversification n'a jamais été d'envergure car le cognac peut être très rémunérateur, jusqu'à 30 000 F/hl d'alcool pur dans le passé contre 9 000 F pour les meilleurs prix aujourd'hui. L'expérience a montré que des viticulteurs pouvaient très bien vivre quarante ans en n'ayant connu que trois ou quatre courtes périodes d'euphorie économique dans leur existence ', indique un professionnel.' Ne faisons plus rêver les gens sur une hypothétique reprise du cognac. Certes, l'embellie de 1989-1991 est encore fraîche dans les esprits. Beaucoup d'emprunts vont tomber d'ici à deux ans et les gens sont prêts à se recroqueviller encore un peu plus, à économiser encore davantage. Mais soyons réalistes aussi : en tant que représentants syndicaux, nous sommes condamnés à faire le forcing pour démontrer que l'on peut se diriger vers une autre voie que le cognac ', admet dans la presse locale, Bernard Guionnet, nouveau président de l'interprofession. Un discours plutôt novateur dans la région.Si le marché du cognac est en perte de vitesse depuis plusieurs années, cela s'est amplifié en 1998, crise en Russie et en Extrême-Orient oblige.Les chiffres du commerce extérieur sur les neuf premiers mois sont clairs : - 11 % en volume et - 18 % en valeur sur la période équivalente de 1997. La région a plus de sept années de stocks et les maisons de négoce revoient fortement à la baisse leurs contrats avec les vignerons. Précisons qu'en Charentes, il existe très peu de particuliers metteurs en marché, quatre maisons de négoce (Rémy Martin, Martell, Courvoisier et Hennessy) réalisant l'essentiel du marché. Quand on sait que le premier serait en situation financière difficile, que le deuxième appartient au groupe nord-américain Seagram qui souhaite se désengager des vins et spiritueux, que le quatrième veut supprimer 20 % de ses effectifs (159 personnes sur 764) pour faire face à la sévère crise asiatique, la situation est très critique.Fin septembre-début octobre, le couvercle a sauté : pendant quatre jours, des centaines de producteurs ont bloqué, via des barrages routiers et des pneus enflammés, la ville de Cognac. Une manifestation d'une ampleur exceptionnelle. Plusieurs réunions au sommet ont suivi et le 12 novembre, un plan a été arrêté par les pouvoirs publics avec deux volets, structurel et conjoncturel. Pour le premier, nous trouvons l'arrachage (déjà vu) et la reconversion : en plus des financements habituels (environ 20 000 F/ha), on attribuera un complément de 10 000 F pour la première tranche de 1 000 ha. 5 MF sont débloqués pour la promotion du cognac. Concernant le volet conjoncturel, des aides à la trésorerie sont prévues (600 MF d'encours pour des prêts à des taux bas) ainsi que des facilités pour le paiement des cotisations MSA. Les départs à la retraite sont encouragés. Le montant total des aides est chiffré à 60 MF par l'Etat.L'année 1998 a été aussi marquée par l'affaire du ' whisky irlandais ' : Hennessy (société LVMH) qui, à lui seul, réalise 40 % des ventes de cognac, a décidé de commercialiser au Japon un whisky sous la marque Hennessy.Tollé de protestation du côté de la production où l'on parle de ' spoliation du patrimoine de Cognac '. Dans une ambiance tendue, puisqu'il a fallu procéder en cours d'année à des élections (test de représentativité) pour déterminer qui allait siéger à l'interprofession, personne n'a voulu l'affrontement. Une commission travaillera sur le sujet (et d'autres) pour trouver une solution avant le 30 juin 1999.Enfin, sur le thème de la promotion, on a noté un certain réveil : des circuits touristiques se montent dans les vignobles, des opérations portes ouvertes ont eu lieu ainsi que des actions avec la grande distribution française (le cognac est exporté à 95 %). A Paris, début novembre, une exposition ' Le cognac en fêtes ' s'est déroulée à la gare Montparnasse. Le comité du pineau a également lancé une nouvelle campagne de communication.

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