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On peut refuser d'adhérer à une interprofession

La vigne - n°98 - avril 1999 - page 0

Le contentieux entre certains vignerons ne désirant pas adhérer à leurs interprofessions et ses dernières se multiplie. Une décision du tribunal de grande instance d'Angers (Maine-et-Loire) vient enrichir le débat. Bien qu'il ne s'agisse que d'une décision de première instance, elle est intéressante dans son argumentaire.

Lorsque la loi du 10 juillet 1975 a légiféré en matière d'organisation interprofessionnelle, le Civas (Conseil interprofessionnel des vins d'Anjou-Saumur), dont la naissance remonte à une loi du 16 juillet 1952, a été reconnu comme telle. Il s'est vu confirmer du même coup sa faculté de lever des cotisations, non seulement sur ses adhérents mais aussi sur tous les producteurs de sa zone d'influence, lorsque la procédure d'extension visée à l'article 2 de la loi du 10 juillet 1975 a été utilisée. Fait notable, il était affirmé qu'il s'agissait d'une créance de droit privé et que les cotisations n'étaient pas exclusives des taxes parafiscales. Elément essentiel, les accords interprofessionnels conclus pouvaient être étendus à tous les producteurs.C'est dans ce cadre législatif que va s'instaurer une instance devant le tribunal de grande instance d'Angers entre le Civas et un producteur de vin de la zone. En janvier 1997, le Civas réclame au vigneron des cotisations afférentes à plusieurs années écoulées, établies en proportion des récoltes effectuées. Quoi de plus simple au départ... sauf que le débat va amener le tribunal à se pencher sur toute la législation et surtout la réglementation afférente aux interprofessions. Pourquoi? Parce que le vigneron conteste le principe même de la créance et de son adhésion au Civas! Les lois citées plus haut existaient; elles ne pouvaient être mises en doute et le tribunal en fera une analyse exhaustive sur le plan légal.Mais la mise en oeuvre de la loi dépendait de textes réglementaires, spécialement d'arrêtés ministériels et même de décisions implicites du ministre, publiées au Journal officiel. Autant la loi ne pouvait être mise en doute, autant ce qui résultait de la réglementation ou des décisions ministérielles nécessaires à son application n'était pas à l'abri de la critique devant le tribunal de l'ordre judiciaire. C'est un principe de droit public bien affirmé : lorsqu'on oppose à un particulier un texte réglementaire devant un tribunal de l'ordre judiciaire, rien n'empêche de soulever son illégalité. C'est ce que le producteur a fait. Le tribunal rejettera sa prétention en soutenant d'abord qu'il n'avait pas formulé de recours principal contre les décisions ministérielles; ce qui est une erreur dont le tribunal est conscient puisqu'il évoque ensuite l'exception d'illégalité possible mais qu'il rejette du reste pour son manque de sérieux.Certes, il ne s'agit ici que d'un jugement susceptible d'appel et rien ne dit que devant la Cour, si elle est saisie, le moyen ne pourra pas être complété et affiné en faisant valoir spécialement quelques critiques de forme contre les actes réglementaires invoqués à son encontre. Pour autant, le défendeur ne s'avoue pas battu; élevant le débat, il va invoquer la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier son article II aux termes duquel toute personne a droit à la liberté d'association. S'appuyant sur une décision de la cour de Strasbourg, il affirme que la liberté d'association implique celle de ne pas s'associer. On rejoint là l'un des motifs de contestation des associations communales de chasse agréées où les propriétaires fonciers font valoir la contrariété des dispositions du code rural qui leur imposent de faire partie d'une telle association. Par une lecture plus complète de l'article II, le Civas fait valoir que le principe affirmé est mis en échec par les lois lorsqu'il s'agit de la sécurité nationale et publique, la protection de la santé ou de la moralité. Aux yeux des juges, le Civas est bien une association et les mesures imposées dans le cadre de l'interprofession ne sont pas de celles qui peuvent faire échec au principe affirmé par l'article II. Car il n'est pas démontré que les contraintes exigées des viticulteurs constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique pour assurer la protection, notamment de la santé, des droits et des libertés d'autrui.Les magistrats tireront alors de leur raisonnement deux conséquences. Le premier est riche de prolongement : il est contraire à l'article II de la Convention européenne d'imposer à un vigneron l'adhésion au Civas et, du même coup, d'acquitter des cotisations, même si la loi nationale permet de l'y obliger. Dans l'espèce, le Civas étant reconnu comme organisme interprofessionnel, poursuivant la démonstration, faut-il en conclure que le principe dégagé s'applique à tous les organismes interprofessionnels qui entendent s'imposer à tous les producteurs? Nous n'en avons pas fini de cet échec des textes nationaux face à la réglementation européenne, comme l'illustre le contentieux sur la chasse.Malheureusement pour le défendeur, le tribunal tirera une troisième conséquence : si l'adhésion imposée est condamnable, encore faut-il ne pas l'avoir acceptée. Or, s'il est certain que pour l'avenir, le propriétaire concerné peut s'opposer à l'adhésion forcée, jusque-là, il n'avait pas manifesté pareille intention en sorte que pour les années écoulées, il doit payer les cotisations réclamées. Certes, ce jugement est susceptible d'appel et, éventuellement en cas de confirmation, le principe affirmé sur cette application de l'article II pourrait être soumis au contrôle de la Cour de cassation.Référence : tribunal de grande instance d'Angers, 12 janvier 1999.Si l'adhésion imposée à un organisme interprofessionnel (ici, le Civas d'Angers) est condamnable, encore faut-il ne pas l'avoir acceptée. Un vigneron se retrouve ainsi condamné à payer l'arriéré de ses cotisations car il n'avait pas manifesté pareille intention.

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