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Bestiales Brettanomyces

La vigne - n°105 - décembre 1999 - page 0

Les notes animales que l'on attribue habituellement à des terroirs ou au vieillissement sont produites par des levures de contamination dénommées Brettanomyces. Elles n'apparaissent pas seulement dans les barriques.

Les vignerons qui ont affaire à elles et les spécialistes les appellent Brett. Leur nom exact est Brettanomyces. C'est le genre auquel appartiennent ces levures, dont l'espèce la plus commune serait Brettanomyces bruxellensis. Leur présence dans les vins et dans les chais est connue depuis le début des années 60. Cependant, jusqu'au début des années 90, on ne savait pas très bien ce qu'elles y faisaient. Il a fallu attendre que la faculté d'oenologie de Bordeaux se penche sur la question pour y voir plus clair.Pascal Chatonnet, le chercheur qui s'est intéressé au problème, a démontré qu'elles libèrent des goûts phénolés dans les vins rouges. Les uns les décrivent comme animaux, à nuance de cuir, de sueur ou d'urine de cheval. Aux autres, ils rappellent la gouache, l'encre de Chine, la peinture ou la pharmacie. Malgré cette diversité de termes, l'odeur se reconnaît facilement. 'Il peut y avoir confusion avec des vins en bouteilles qui ont développé un bouquet de vieillissement dans des conditions de réduction, précise Pascal Châtonnet. Cependant, un tel bouquet est labile alors que les notes phénolées sont persistantes. Il suffit donc d'aérer les vins pour trancher.'Les premiers travaux de la faculté ont porté sur les vins élevés en barriques. Certains en avaient conclu qu'ils étaient les seuls à héberger des Brettanomyces. Ce sont effectivement les plus atteints. Pour autant, les vins en cuves n'échappent pas à la contamination. Elle peut se manifester en cours d'élevage, lors du vieillissement en bouteilles et, plus rarement, dès la fin de la fermentation alcoolique.De plus, le Bordelais n'est pas la seule région touchée. Des Brettanomyces sévissent également dans des rouges du Val de Loire, du Languedoc, du Sud-Ouest, des côtes du Rhône, de Bourgogne et du Beaujolais. 'Ce sont des levures que l'on voit partout', estime Patrice Daniel, du Sigmo. Cette société a mis au point des tests génétiques d'identification des Brettanomyces. Par ailleurs, le laboratoire Excell qu'a fondé Pascal Chatonnet dose les éthyl-phénols, les substances responsables des odeurs phénolées. Depuis que leurs méthodes sont appliquées en routine, ils ont analysé bon nombre de vins suspects. On a ainsi pu désigner clairement la nature et les auteurs de goûts que l'on tenait jusqu'alors comme une marque de terroir, la caractéristique de certains chais ou des notes d'évolution. Il faut désormais les reconsidérer et admettre qu'ils résultent de contaminations levuriennes. Toute la question est de savoir si elles sont acceptables.C'est à chaque producteur et à chaque appellation d'y répondre. Les goûts phénolés ne sont pas forcément rejetés, surtout lorsqu'ils ne sont pas identifiés comme tels. Tant qu'ils ne sont pas trop puissants, certains estiment qu'ils contribuent à la complexité des vins. Cependant, ils écrasent rapidement les notes fruitées, végétales, grillées ou épicées propres aux cépages et aux terroirs. 'On a l'impression de finir sur des tanins plus secs et plus durs', ajoute un vigneron.Ces analyses nouvelles ont aussi donné une mesure de l'ampleur du phénomène. La diminution du sulfitage n'y est pas étrangère. 'Les médias nous poussent à faire des vins naturels. On en paie le prix', estime un autre producteur. Comme tous les micro-organismes, les Brettanomyces sont arrêtés par le SO2 et prolifèrent lorsqu'il est en quantité insuffisante.La faculté d'oenologie de Bordeaux situe de 17 à 18,5 mg/l de SO2 libre la limite en dessous de laquelle il n'y a plus de protection efficace contre ces germes. Elle précise que le sulfitage à l'entonnage doit être calculé de telle sorte que l'on reste au-dessus de ce seuil jusqu'au soutirage. Elle ajoute que cette limite n'apporte pas de garantie absolue car dans des vins rouges très riches en polyphénols des goûts phénolés peuvent se développer malgré le maintien d'un niveau élevé de SO2 libre.Lorsque l'on détecte des notes phénolées à la dégustation ou lorsqu'une analyse indique que les éthyl-phénols progressent avant qu'ils soient perceptibles, on peut réagir de deux façons. La première consiste à sulfiter. 'L'ajout de 40 mg/l de SO2 détruit toute la flore levurienne, affirme Vincent Gerbaux, en charge du dossier Brettanomyces à l'ITV. 20 mg/l sont insuffisants.' La seconde façon consiste à filtrer. 'Une membrane de 1,4 micron retient toute la population', observe Patrice Daniel. On peut ainsi traiter une cuve ou une barrique qui risque de contaminer tout un chai.En cas de doute, avant la mise en bouteilles, le dénombrement de la flore est la seule méthode pour évaluer le risque d'une contamination en cours de conservation. 'Il suffit de quelques cellules par millilitre pour provoquer une altération, explique Patrice Daniel. Elle ne sera pas forcément rapide, mais elle pourra apparaître au bout de quelques années.' Notre interlocuteur situe à un million de cellules par bouteille la limite à partir de laquelle l'apparition de défauts est pratiquement certaine. Au-delà de 10 000 cellules par bouteille, il estime qu'il faut avertir le vigneron du risque qu'il court à ne pas filtrer ou à filtrer de manière trop lâche.Fort de ces nouvelles techniques, il semble donc possible de prévenir l'apparition de goût phénolés lors de l'élevage ou de la conservation des vins en bouteilles. Reste le problème de leur survenue en fin de fermentation alcoolique. Il est malheureusement beaucoup plus délicat à traiter et à prévoir, du moins pour l'instant.

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