Presque dix ans après leur arrivée dans le vignoble de Tokaj, au nord-est de la Hongrie, les premiers investisseurs étrangers, et notamment français, trouvent leur rythme de croisière. 'On s'était donné dix ans, on a atteint nos objectifs', estime Aymar de Baillenx, PDG de la société holding Grands millésimes de France (Mutuelles Azur GMF 60%, Suntory 40%), qui a investi en 1991. La société Hetszölö est en parfait état de fonctionnement avec 45 ha, entièrement plantés entre 1991 et 1998.L'idée est d'obtenir le plus régulièrement possible des aszu, ces grains botrytisés ou passerillés que l'on fait macérer avec des vins blancs secs ou des moûts pour donner les célèbres liquoreux de Tokaj. Chez Disznokö, société créée en 1992 et propriété à 100% d'Axa-Millésimes, on est rassuré. Jean-Michel Cazes, le responsable et également producteur en Gironde, explique: 'Je ne suis pas mécontent de notre compte d'exploitation. On a construit un outil de premier ordre, replanté le vignoble à plus de 60%. On est à l'équilibre depuis deux ans'. Au centre de la région, Pajzos (64 ha) et Megyer (80 ha) poursuivent les mêmes objectifs. Issues d'investissements privés (Pajzos) et du Gan (Megyer), les deux sociétés ont, dès le début (1992), mis en commun l'administration et la commercialisation.Si à Tokay, tous les investisseurs y croient, la privatisation n'a pas été sans embûches. Il a fallu intégrer la complexité de l'aszu: accepter qu'il ne s'en produise pas tous les ans en grande quantité, jongler avec les raisins sains, découvrir que le vin sec de cépage furmint ou harslevelu ne se vendait pas si facilement... Il a fallu aussi supporter les refus d'agrément des vins par l'administration hongroise. Dernièrement encore, des milliers de bouteilles d'aszu se trouvaient interdites de commercialisation sous prétexte qu'elles ne correspondaient pas au 'véritable style' de l'aszu! La discussion s'avère si complexe qu'il vaut mieux admettre qu'il en existe plusieurs types.Avec ces millions de francs injectés, il y a maintenant des outils flambant neuf, des vignes jeunes, des équipes motivées. Les Français y ont participés au premier chef. Mais si l'outil est là... il faut vendre. Reconquérir les marchés internationaux après 50 ans de disparition totale du tokaj, en dehors des pays de l'Est et de la Russie, n'est pas facile. C'est aussi l'époque des expériences. Par exemple, la plupart des investisseurs étrangers se lancent dans des vendanges tardives, plus 'parlantes' à l'ouest que 'szamarodni doux' (l'un des vins de la gamme de tokaj qui s'en rapproche le plus), commercialisables rapidement (l'aszu, lui, nécessite trois ans de vieillissement, dont deux en fûts et un en bouteilles) et intéressants pour palier l'absence d'aszu.