Le Regent est le fruit le plus prometteur d'un ambitieux programme de sélection de variétés résistantes aux maladies.
Ne lui parlez pas d'hybride car il vous reprendra. Rudolf Eibach vous soutiendra que le Regent a beau avoir des ascendants américains, on doit le considérer comme un cépage. Ce chercheur allemand dirige le programme fédéral de sélection de variétés résistantes aux maladies, programme engagé en 1970 et dont le Regent est le fruit le plus prometteur. 'Il donne des vins rouges très colorés et de type méditerranéen', précise notre interlocuteur.L'un de ses parents est le chambourcin, un hybride. En 1995, cela n'a pas empêché l'Office fédéral des variétés de le ranger parmi les Vitis vinifera, estimant qu'il en présente tous les caractères botaniques. Cet organisme enregistre toutes les nouvelles obtentions, après quoi elles sont protégées. Il a accordé le statut de cépage à sept autres croisements récents présentant, eux aussi, un parent hybride. Ses décisions ont ouvert la voie à leur utilisation pour la production de vins de qualité (VQPRD). Car en Allemagne, comme dans le reste de l'Union européenne, les vins de qualité ne peuvent provenir que de vinifera et les hybrides ne peuvent donner que des vins de table.Pour que les vignerons puissent planter une variété, il faut encore qu'elle soit autorisée par leur Land (région).Le premier à se prononcer en faveur du Regent fut le Land de Rhénanie-Palatinat en 1996. Tous les autres lui ont emboîté le pas. Leurs décisions ont été entérinées par des règlements européens. Si bien que l'an dernier, le regent couvrait 250 ha. 'Il devrait se planter 60 ha de plus cette année', estime Rudolf Eibach. Vus de France, ces chiffres paraissent bien minces. Vus d'Allemagne, ils indiquent qu'une voie s'ouvre. D'énormes efforts commencent enfin à porter des fruits. Dans ce pays, deux autres organismes publics mènent des programmes identiques à celui de l'Institut fédéral de sélection de la vigne où travaille Rudolf Eibach (Seibeldingen). L'un dépend du Land de Hesse, l'autre de Bade-Würtemberg. 'Au cours des cinquante dernières années, nous avons semé un demi-million de pépins sous serre, explique Norbert Becker, de l'institut de viticulture de Bade-Würtemberg (Freiburg in Breisgau). Et 40 000 plants issus de ces semis ont été mis en pleine terre afin de tester leurs propriétés agronomiques. 6 000 vins ont été vinifiés, dégustés et notés. Deux nouvelles variétés ont été autorisées dans le Pays de Bade et dans le Würtemberg (Johanniter et Merzling). D'autres variétés rouges et blanches résistantes vont suivre.'L'Autriche, la Hongrie et la Suisse en recherchent également. Dans tous ces pays, selon des chercheurs et des vignerons, il est nécessaire de continuer à croiser des variétés européennes avec des vignes de sève américaine ou asiatique. C'est la voie à suivre pour parvenir à une viticulture plus respectueuse de l'environnement. En décembre, certains d'entre eux ont fondé la Communauté internationale pour la promotion des cépages résistants aux maladies.Revenons en Allemagne, à Hessigheim dans le Würtemberg. La coopérative de cette commune vinifie la récolte de 400 ha. Ses adhérents ont planté 1 ha de Regent. Cela lui a valu une médaille d'or au concours de la société allemande d'agriculture (l'équivalent du concours général agricole) pour une cuvée du millésime 1997. Cette distinction n'a pas ému Richard Betz, le directeur de la coopérative. 'Nous collectionnons les médailles', affirme-t-il. Le Regent ne démérite donc pas. 'Il donne des vins puissamment colorés et francophiles, rappelant des cabernets bien structurés.' Richard Betz les vend au même prix que ses pinots noirs, mais avec peine. Il juge qu'il faut une 'âme de missionnaire' pour convaincre les clients. Ces derniers n'ont de goût que pour les cépages traditionnels. Ce n'est qu'au prix de longues explications qu'ils se laissent tenter par une nouveauté.Dans l'avenir immédiat, le Regent restera cantonné aux situations escarpées qui lui semblent prédestinées. Les adhérents de la coopérative l'ont installé sur des terrasses exposées au sud et qu'il faut traiter à l'hélicoptère. Là, il suffit d'une intervention par an pour contrôler le mildiou. En Suisse alémanique, sous un climat plus humide, l'an dernier, Andréas Meier (Würenlingen) n'a traité le nouveau cépage qu'à deux reprises contre le mildiou; il est intervenu sept fois pour protéger le pinot noir. A la récolte, le premier présentait quelques taches sur le feuillage, le second était sain.Le catalogue de ce pépiniériste et vigneron offre 58 variétés de cuve, dont douze résistantes aux maladies. De nouvelles obtentions côtoient d'anciens hybrides tels le seyval blanc, le léon millot ou le maréchal foch, autorisés pour la production de vins de qualité dans quelques cantons suisses. Andréas Meier est convaincu que le Regent n'a pas l'envergure du pinot noir. Malgré cela, il ne doute pas de l'intérêt des variétés résistantes. 'En Suisse, nous avons beaucoup de parcelles en banquette que l'on traite avec un atomiseur à dos. Les jeunes ne veulent plus suivre. Et on ne peut pas produire à des prix acceptables. Si l'on maintient l'obligation de planter des variétés européennes, tout un paysage viticole risque de disparaître. La solution pour le futur, c'est de ne plus aller traiter.' La poursuite de cet objectif justifie les efforts de sélection.