Les relations entre un vigneron et son laboratoire reposent trop souvent sur la parole donnée. Mais en cas de problèmes, les paroles s'envolent...
'Il n'existe pas forcément de contrat signé entre le vigneron et son laboratoire d'oenologie, déplore un oenologue. Dans de nombreuses régions, on se tape dans le dos. ' Les rapports entre les deux parties sont souvent informels. De plus, l'activité conseil n'est pas toujours facturée en tant que telle. Elle découle de l'analyse ou de la vente de produits et reste, pour une large part, orale. ' Souvent, il y a ambiguïté, explique Noël Rabot, oenologue dans le Vaucluse. Le vigneron attend le conseil avec l'analyse, alors que ce sont deux choses différentes. ' Mais l'ambiguïté est aussi entretenue par certains laboratoires.Lorsque tout va bien, pourquoi pas. Mais si un problème surgit et que la perte financière est élevée, les relations cordiales entre un laboratoire et son client peuvent virer au rouge. Un vigneron subissant des pertes importantes considère que son laboratoire l'a mal conseillé et le traîne devant les tribunaux. Le laboratoire se défend en déclarant que son rôle se cantonnait à délivrer des bulletins d'analyse, pas plus. ' Nous avons voulu démontrer que la multiplication des analyses avait créé un suivi, et que dans ce suivi, il y avait une obligation de conseil, explique l'avocat du vigneron. C'était la première fois qu'on tentait de qualifier un contrat. ' La cour n'a pas soutenu cet avis. ' Il faut apporter la preuve que l'oenologue n'a pas fait son travail, et la preuve est écrite ', précise un autre avocat. ' Les us et coutumes diffèrent selon les régions, remarque Daniel Péraldi, président de la Fédération des laboratoires oenologiques indépendants. Dans certains vignobles, comme la vallée du Rhône ou la Bourgogne, la tradition reste orale. Mais en l'absence de contrat, l'oenologue n'est tenu que par la validité des résultats analytiques rendus... Aujourd'hui, il faut codifier les choses, poursuit-il. Le nombre d'analyses a décuplé en dix ans, et les problèmes de responsabilité vont aller grandissants. ' Cet oenologue milite pour la séparation entre l'activité analytique et la partie conseil, comme pour le monde médical. ' Nous travaillons à l'élaboration d'un canevas pour aider les laboratoires à formaliser leurs relations avec leurs clients, ajoute Daniel Péraldi. Ce travail devrait aboutir à une charte précisant les rôles, les devoirs et la responsabilité de l'oenologue en tant que conseiller. ' Il n'est pas dans les habitudes de signer des contrats, de noter les conseils délivrés, souvent faute de temps, et même de faire payer ces conseils. ' Nous facturons les analyses, jamais les conseils, témoigne Amicie de Fréminville, du laboratoire OBST en Beaujolais. Et il n'y a pas de contrat écrit avec nos clients. ' ' Nous proposons des forfaits oenologiques ou des analyses au coup par coup, ajoute Sabine Garda, du laboratoire départemental de Gaillac. Mais la partie conseil et dégustation est gratuite. Cependant, une réflexion est menée actuellement et le conseil pourrait devenir payant. Mais pour les analyses au coup par coup, il restera gratuit. Quant aux liens avec nos clients, ils sont verbaux. ' ' Nous nous efforçons de faire rédiger les contrats pour les problèmes de responsabilité, mais ce n'est pas encore dans l'état d'esprit des vignerons, déplore Dominique Lallier, de la Générale de technologie, en Loire-Atlantique. Nous proposons des contrats annuels de suivi avec un cahier des charges très précis, pour lequel nous nous obligeons à noter tous les conseils. Mais peu de nos clients choisissent cette formule. Ce suivi, plus approfondi, a un coût supplémentaire. ' Les clients de Noël Rabot ont pratiquement tous un contrat annuel. Celui-ci détaille les tâches du laboratoire. Il est donné aux clients ' mais n'est pas signé, précise Noël Rabot, c'est davantage moral et oral. ' Il avoue aussi qu'à l'exception de quelques écrits donnés lors du sulfitage ou de la mise, les trois quarts des conseils délivrés sont verbaux. A Bordeaux, le laboratoire Gendrot a franchi une étape supplémentaire. Pour la troisième année, il propose un contrat à signer. Au départ, ses clients montraient quelques réticences, mais les choses évoluent. ' Les vignerons pensent qu'en souscrivant un forfait d'abonnement, l'oenologue devient responsable de leurs vins et qu'il est en cause si l'agrément n'est pas obtenu ', raconte Gérard Gendrot. Pour remettre les choses au point, il précise dans les contrats que ' le forfait... n'implique en aucun cas une prise de responsabilité du laboratoire sur la qualité finale du produit, le pouvoir de décision appartenant au producteur propriétaire, le laboratoire n'étant tenu qu'aux moyens et non aux résultats '. Depuis quelques années, l'ICV (Institut coopératif du vin) propose des contrats détaillés, soumis à la signature des clients. ' Au début, quelques personnes ont réagi en disant : 'Vous n'avez pas confiance, vous ouvrez le parapluie', se souvient Olivier Merrien, directeur de l'ICV. D'autres se sont rendu compte de l'étendue de nos prestations... Nous essayons le plus possible de rédiger les conseils, et pour cela, il faut vaincre la culture de l'oral. ' Conseiller n'est pas chose facile. Les oenologues ne connaissent pas forcément bien la cave, ils n'ont pas tous les éléments en main, et sont rarement présents quand leurs conseils sont appliqués. Ils souhaitent donc que leur responsabilité soit modulée en cas de problème. ' Nous assistons parfois à un dialogue de sourd, constate Amicie de Fréminville. Lors d'un arrêt de fermentation, nos conseils ne donnaient rien. Sur place, nous avons constaté que le vigneron, craignant une montée en volatile, fermait hermétiquement sa cuve. Privées d'oxygène, les levures ne pou- vaient pas se multiplier ! ' ' Au final, c'est le vigneron qui décide, explique un oenologue. Nous essayons juste de le pousser à faire ce qui nous paraît le plus logique. ' ' Le vigneron n'est pas un patient qui va voir son médecin, c'est un professionnel ', ajoute Daniel Péraldi. Il fait ainsi référence à un différend entre un oenologue, ayant prescrit l'ajout d'acide métatartrique, et son client, qui avait apporté cet additif lors d'une mise réalisée un jour de grande chaleur. Or, l'acide métatartrique est instable à la chaleur. La cour a considéré que le vigneron, en tant que professionnel, devait connaître les conditions d'emploi des produits. Le conseil de l'oenologue n'était pas en cause.