En analysant le retrait d'un produit phytosanitaire destiné aux semences, le Conseil d'Etat a été amené à poser des principes, au plan général, sur la commercialisation de ce type d'intrant.
Depuis plusieurs années, l'insecticide Gaucho (Bayer), utilisé sur les semences, notamment de tournesol, est au centre d'une polémique : il aurait des effets toxiques sur les abeilles. Les apiculteurs demandent son interdiction définitive. Le ministre de l'Agriculture vient de proroger la suspension de ce produit pour deux années supplémentaires afin de continuer à étudier ses éventuels effets toxiques.Mais quel rapport avec la viticulture ? En fait, par une décision du Conseil d'Etat du 29 décembre 1999, la haute juridiction a été amenée, sur le plan général de la commercialisation des phytos, à poser des principes susceptibles d'intéresser également les produits utilisés par la viticulture, et pouvant donc être appliqués pour d'autres phytos auxquels les vignerons ont recours. Analysant successivement la réglementation nationale et communautaire, le Conseil d'Etat s'est penché sur les phases administratives devant être respectées pour la mise en marché de ce type de produits. Le premier échelon de la démonstration juridique s'est fondé sur l'article 8 du décret du 28 novembre 1983, concernant les relations entre l'administration et les usagers, combiné avec la loi du 11 juillet 1979 obligeant l'administration à motiver ses décisions. Il est affirmé : ' Les décisions qui doivent être motivées, en vertu de la loi du 11 juillet 1979, ne peuvent intervenir qu'après que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter des observations écrites, et toute personne concernée par la mesure prise doit être entendue si elle en fait la demande '. Plus précisément, l'article 30 de l'arrêté du 5 septembre 1994 dispose : ' Préalablement à toute décision de refus ou de retrait de l'autorisation de mise en marché d'un phyto, le demandeur à l'autorisation dispose d'un délai notifié par le ministre pour présenter ses observations et se mettre en conformité '. Or, les contestants à l'arrêté ministériel, qui suspendait l'utilisation de Gaucho, faisaient valoir, à juste titre, que l'arrêté de retrait constitue une mesure de police devant être motivée en application de la loi du 11 juillet 1979. Il y avait donc violation de l'article 8, du décret du 28 novembre 1983, et de l'article 30, de l'arrêté du 6 septembre 1994. Mais voilà qu'il était établi par le dossier que le fabricant avait eu connaissance de l'intention du ministre de retirer l'autorisation de mise en marché du produit et avait même été entendu en ses observations, sans y avoir été invité comme le prescrit la réglementation. Comme dit la Cour de cassation, le moyen manquait de fait ; et cela était si réel que le producteur et le distributeur n'avaient pas demandé à être entendus. En outre, les requérants à l'annulation faisaient valoir que le ministre, avant de prendre la mesure contestée, aurait dû consulter le Comité d'homologation des produits antiparasitaires. Mais là encore, le moyen était sans portée car aucune disposition législative ou réglementaire ne l'impose. Aussi, peu importait que le ministre, par mesure de précaution, n'ait pas suivi l'avis de ce Comité d'homologation, qu'il avait du reste alors élargi vers une directive communautaire du 15 juillet 1991. En effet, il était soutenu qu'il y avait incompatibilité du décret du 5 mai 1994 : ce texte permet le retrait de la mise en marché d'un produit dont l'innocuité n'est pas démontrée et en conformité avec la directive qui prévoit que les conditions de mise en marché ne sont plus remplies s'il n'est pas établi que le produit n'a pas d'influence inacceptable sur l'environnement. Sur ce moyen, le Conseil d'Etat dira que le décret national est compatible avec la directive car la portée des deux expressions retenues est la même.Allant plus loin, était invoqué le Conseil de l'Europe, mais aux dires du Conseil d'Etat, cette instance n'est appelée à donner que des conseils et des recommandations aux autorités nationales. En conséquence, le Conseil d'Etat, faisant appel au décret du 5 mai 1994, constatait que le ministre s'était appuyé sur diverses études, effectuées en laboratoire et sur le terrain, concernant les effets du produit sur les abeilles ; s'appuyant sur l'avis exprimé par la Commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires, il décidait le retrait de la mise en marché conforme aux prescriptions légales et réglementaires et devant être approuvé. Référence : Conseil d'Etat, 29 décembre 1999, Société Rustice et autres.