Pour sortir de la crise dont souffrent les vins de table et de pays, la CCVF a demandé la distillation de 5 millions d'hectolitres. Le ministère de l'Agriculture lui a répondu qu'elle obtiendrait au mieux 2,5 Mhl, en contrepartie de concessions sur les rendements.
'On se croyait tiré d'affaire et voilà qu'on replonge ', constate avec amertume un vigneron venu manifester à Nîmes ce 21 mars. Sa coopérative produit 28 000 hl de vins de table, de vins de pays d'Oc et du Gard. A l'époque, elle n'avait vendu que 4 000 hl de la récolte 2000, dont la plupart n'avaient même pas été retirés. Il lui restait aussi quelques centaines d'hectolitres du millésime 1999, vendus mais toujours dans ses cuves. Elle savait déjà qu'il lui serait impossible de tout écouler avant la prochaine récolte. De plus, elle prévoyait d'emprunter pour payer ses adhérents.Au moment de la manifestation, le Gard et les Pyrénées-Orientales encaissaient, par rapport à la campagne précédente, un retard de 40 % de la commercialisation de leurs vins de table rouges et rosés. Dans l'Aude et dans l'Hérault, les marchés avaient été plus actifs, n'accusant que 15 et 20 % de retard. Et partout, les retiraisons étaient gelées. Il n'y avait aucune rentrée d'argent sur une quantité de contrats pourtant signés à des prix en chute libre. En octobre, les vins de table rouges et rosés se négociaient au-delà de 25 F/°hl. Le 21 mars, on ne parlait plus que d'offres entre 20-21 F, jugées scandaleusement basses. A ces difficultés, s'ajoutent celles des autres productions. Les ventes de vins de pays de département ont elles aussi reculé, aggravant d'autant l'impact de cours en dérapage, de 300 F/hl au début de la campagne pour arriver à 270 F/hl. Les courants d'affaires ne se sont maintenus que pour les vins de cépage et d'appellation. Cependant, les prix des premiers sont sans rapport avec les sommets atteints par la récolte 1998 : le chardonnay valait alors 900 F/hl. Il est tombé en dessous de 550 F/hl. ' Nous avons d'excellents merlots à 13 % vol. nature. On veut nous les acheter au °hl à un prix à peine supérieur à celui des vins de table ', rouspétait un manifestant. Le négoce cherche à rendre à la production la monnaie des pièces qu'il avait dû acheter au prix fort en 1998-1999. Quelques caves échappent à ce bras de fer. Elles ont maintenu leurs accords de partenariat au temps où les cours flambaient. Elles ne connaissent pas la déprime. Elles ont vendu toute leur récolte alors qu'elles sont sur le marché du vrac comme leurs voisines. Elles ne subissent que le lenteur des retiraisons. ' La clé, c'est d'entretenir des rapports de confiance et de produire les vins demandés par les clients, explique le directeur de l'une de ces caves. Une partie de notre récolte était prévendue avant les vendanges. ' Entre cette coopérative et celles qui ne s'occupent de vendre qu'une fois les vinifications achevées, le fossé n'a jamais été aussi grand. Les responsables professionnels méridionaux semblent en avoir pris la mesure. Le 7 mars, la Confédération des caves coopératives de France (CCVF) organisait une conférence de presse au sujet de la crise qui frappe le Midi. Ce fut l'occasion d'en disséquer les causes et d'exposer les moyens d'en sortir. Les responsables méridionaux ont longtemps été confrontés à ce genre d'exercice. Mais ils n'avaient pas eu à le faire depuis le milieu des années 90. Ils ont dû y revenir dans l'urgence et l'impréparation, bousculés par un marché dont ils avaient perdu le contrôle. Ils avaient bien senti la lourdeur du début de campagne. Ils pensaient qu'un vieux remède allait la dissiper : la distillation d'un volume limité à un prix fort. Le but de la manoeuvre est d'amorcer des sorties de chais dans l'espoir d'entraîner les acheteurs. Elle avait donné satisfaction par le passé. Malheureusement, elle n'a pas fonctionné. 800 000 hl ont été distillés en France au prix de 24,30 F/°hl, sans que cela allège le moins du monde le marché des vins de table. Il fallait envisager d'autres solutions. Lors de la conférence de presse, les journalistes ont eu la surprise d'entendre peu parler de production. Le sujet du jour, c'était la commercialisation, la défense des marques et des parts de marché attaquées sur tous les segments. Denis Verdier, président de la CCVF, a affirmé qu'il fallait ' aider les entreprises à asseoir leurs marques afin qu'elles deviennent des moteurs de croissance dans leurs régions. ' Sans en prononcer le nom, il pensait aux entreprise de négoce.' Nous sommes une filière composée de PME. En face, nous avons affaire à des groupes de dimension mondiale qui nous taillent des croupières tous les matins parce qu'ils dégagent des budgets de promotion considérables et qu'ils attaquent les marchés de manière très agressive. ' Denis Verdier et les autres dirigeants de la CCVF estiment qu'il faut réagir sur le même terrain : une révolution copernicienne dans le monde de la coopération. Mais avant cela, il y a l'urgence. Les caves sont pleines et il faut les vider pour laisser la place aux prochaines vendanges. Lors de la conférence, la CCVF a annoncé qu'elle exigeait la distillation de 5 Mhl sans donner aucune indication de prix. Cette revendication fut rappelée lors de la manifestation qu'elle a organisée à Nîmes. Là encore, personne n'a ouvertement parlé de prix, n'étant plus en position de le faire. Ce sera au maximum 2,5 Mhl à 16,30 F/°hl, a dit le ministre de l'Agriculture, le 3 avril à la délégation de représentants de la viticulture qu'il a reçue. Ce volume sera éliminé sous couvert de la distillation de crise, payée par l'Europe à un prix voisin de 11 F/°hl. La France devra donc négocier à Bruxelles l'ouverture d'un second contingent et l'octroi d'une aide nationale. La CCVF n'a pas réagi à cette annonce. Elle a prévu de répondre au ministre le 17 avril à la suite d'une assemblée extraordinaire. Elle se satisfera à coup sûr du volume car, sur le terrain, on sait déjà que l'on n'obtiendra jamais 5 Mhl. Bien plus dure à avaler sera la pilule amère de ce prix qui paraissait inadmissible en début de campagne. Mais, là encore, les temps changent car dans le Midi, on se prépare à souscrire massivement à la distillation de soutien (article 29) dès septembre prochain. Or, on l'avait boudée en septembre 2000 sous prétexte qu'elle n'est payée que 16,30 F/°hl. Les vignerons devront aussi se résoudre à d'autres concessions. Ils diminueront de 10 hl/ha le rendement en vins de pays. En principe, dès cette année, ils ne pourront plus produire que 80 hl/ha, plus 9 hl/ha destinés à d'autres fins que la vinification. Les propriétés récoltant des AOC et des vins de table se verront imposer un rendement maximum pour cette seconde catégorie de vins alors qu'aujourd'hui, il est illimité. On verra aussi apparaître un rendement maximum par exploitation. Et il ne restera qu'à retenir son souffle en espérant que cela suffise. Car pour l'instant, personne n'ose imaginer qu'il faudra en revenir à l'arrachage. Pourtant, l'Europe, à la suite de deux fortes récoltes, souffre à nouveau de surproduction. Si toutes les distillations demandées par les différents Etats sont acceptées par la Commission, nous aurons détruit 21,7 Mhl en 2000-2001. Nous aurons donc approvisionné les chaudières de l'Union au rythme du début des années 90. En dehors de l'arrachage, il n'y a qu'un autre moyen de le freiner : stimuler la demande et reconquérir les marchés perdus. A Nîmes, des manifestants en voyaient un troisième : le gel qui remettrait tous les compteurs à zéro. Triste perspective !