Après le décès de son premier mari, Anne-Marie Schmitt s'est retrouvée seule à la tête de son domaine. Elle y a affirmé un style limpide et rigoureux.
'En 1974, j'ai épousé un vigneron et, avec lui, sa passion pour son métier ', explique Anne-Marie Schmitt. Tous deux l'ont partagée pendant près de vingt ans. Malheureusement, en 1993, Roland meurt dans un accident de la route. Anne-Marie se retrouve seule à la tête d'une exploitation transmise de père en fils, au moins depuis 1610. Elle va la perpétuer, aidée par son ouvrier. ' Il a travaillé pour moi comme il l'aurait fait pour lui-même. Je ne saurai jamais assez le remercier. 'Anne-Marie et Roland ont commencé sur une exploitation de polyculture abritant 2,5 ha de vignes. En 1993, ils en cultivaient 7 ha. Anne-Marie y a encore ajouté 1,5 ha. Elle a préféré délaisser la commercialisation plutôt que figer le domaine. ' Pendant ces sept dernières années, je n'ai pas cherché de nouveaux clients. Je me suis contentée de servir ceux qui venaient au caveau. ' Ce choix s'est soldé par un gonflement des stocks. Après s'en être inquiétée, elle s'en réjouit parce qu'elle détient la preuve de l'aptitude de ses vins au vieillissement. Tous ses efforts ont porté sur la production, poursuivant la voie ouverte avec Roland. Le jeune couple était le premier de la lignée à embouteiller et à vendre directement. Ses prédécesseurs livraient au négoce et servaient leurs proches. Pour sortir de cette routine, il fallait des vins remarquables. Le premier naquit en 1983. Ce fut un riesling de l'Altenberg de Bergbieten, le grand cru de cette commune située à 20 km à l'ouest de Strasbourg. Deux restaurants étoilés du Guide Michelin l'ont apprécié et inscrit à leur carte. ' Les 'grands' nous ont choisis. Nous n'aurions jamais osé aller vers eux ', se souvient Anne-Marie. De cette époque date l'introduction de l'éclaircissage de ses vignes. Le premier eut lieu en 1986 sur un gewurztraminer. Depuis, Anne-Marie n'a pas cessé de l'affiner. Au départ, elle coupait les grappes portées par le bout de l'arcure. Maintenant, elle supprime la seconde grappe de chaque pousse. Cette règle la guide sans rigidité. ' Il faut savoir s'adapter très vite au millésime, ce qu'elle a fait l'an dernier. Avril et mai avaient été extraordinaires. Mais à partir de la véraison, un temps épouvantable s'est installé. ' Le botrytis et les tordeuses en ont tellement profité qu'ils ont submergé la confusion sexuelle. Il aurait fallu un insecticide et un antibotrytis. Anne-Marie ne les a pas voulus. Elle a renoncé à ces produits pour préserver l'environnement et la pureté de ses vins. Ses saisonniers les ont remplacés. Elle leur a demandé de couper les grappes attaquées sans se soucier de leur position sur la souche. Après ce nettoyage, la parcelle la plus atteinte a produit une ' récolte extraordinaire, mais trop petite pour être rentable '. Et Anne-Marie a senti que ses coûts de production s'élevaient dangereusement. ' Je ne veux plus passer cinq semaines par an à couper du raisin ', résume-t-elle. Comment faire ? Elle qui déjà taille sévèrement et fertilise avec parcimonie, ne le sait pas encore. Au chai, notre vigneronne a affirmé son style. Elle n'y mettait pas les pieds du vivant de Roland. Il a fallu qu'elle relève ses manches pour faire ' un travail d'homme '. Elle l'a appris avec l'aide d'amis vignerons et avec l'intention de produire des vins purs et aériens. ' Je n'aime pas les vins qui en imposent, je préfère ceux qui accompagnent. ' Pour les obtenir, elle laisse s'achever les fermentations, même celles des gewurztraminers, cépage auquel l'Alsace conserve toujours du sucre. Seules les vendanges tardives échappent à cette règle et encore, de justesse, car elles sont bien plus nerveuses que sirupeuses. Pour obtenir des arômes d'une limpidité cristalline, Anne-Marie élimine toute trace de pourriture grise de ses grappes récoltées à la main et entretient une hygiène rigoureuse, faite d'une multitude de lavages auxquels n'échappe pas le plus petit robinet de cuve. Ces précautions lui permettent de sulfiter très peu, ce qui est encore une façon de préserver la pureté. Elle a affirmé son style alors que grandissait la mode des rieslings et des pinots gris sucrés. Elle ne regrette pas de s'être trouvée à contretemps. ' De toutes façons, on ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut déterminer le public que l'on veut toucher, le style de vin que l'on veut faire et s'y tenir. ' Elle aurait regretté son parti pris s'il avait déplu à Julien, son aîné. L'an dernier, il a commencé à travailler avec sa mère deux jours par semaine. Le tandem s'est avéré stable. ' Mon fils aurait pu voir les alsaces différemment de moi, mais ce n'est pas le cas. ' Cette année, il va s'associer avec sa mère au sein de l'EARL Roland Schmitt, où il travaille à plein temps depuis les vendanges. ' J'ai retrouvé un partenaire, se réjouit-elle. Cela me manquait terriblement. ' Elle peut également compter sur son second mari. Il est médecin, mais n'hésite pas à faire visiter la cave et abat le plus gros du travail administratif qui l'ennuit. Anne-Marie Schmitt n'est plus au four et au moulin. Elle peut partir à la conquête d'une nouvelle clientèle.