ImprimerPour remplacer l'élevage sur lies, opération longue, coûteuse et parfois délicate, des sociétés proposent de nouveaux produits oenologiques à base d'écorces de levure ou d'autolysats.
L'élevage sur lies présente de multiples intérêts. Au cours de leur autolyse, les levures cèdent au vin une grande partie de leur extrait cellulaire. Les parois libèrent des glycoprotéines qui stabilisent les vins vis-à-vis des précipitations tartriques et protéiques. D'ailleurs, plusieurs produits oenologiques à base de ces mannoprotéines sont en cours d'évaluation par la Répression des fraudes.Mais l'intérêt de l'élevage sur lies ne se résume pas à une meilleure stabilité. Il joue aussi sur la structure du vin, sa rondeur, son amplitude, son astringence. Il a encore une incidence sur l'expression aromatique du vin, sur sa sensibilité à l'oxydation et sur la volatilité de ses arômes. Mais cette pratique est coûteuse. Dès les années quatre-vingt, l'équipe de Michel Feuillat, à l'Université de Bourgogne, a travaillé avec Bio Springer sur une préparation d'autolysat de levures prête à l'emploi, permettant de se substituer à l'élevage sur lies. Cet autolysat, riche en macromolécules et en acides aminés, a été baptisé OEnolysat par le Groupe OEno-France. Cette poudre s'utilise à des doses de 10 à 50 g/hl. Les autolysats ne figurant pas sur la liste des produits oenologiques autorisés, elle n'est employée que dans un cadre expérimental. Mais les fraudes semblent gênées par l'incidence organoleptique que peut avoir ce genre de produit. En effet, certains acides aminés présents dans les extraits de levures sont des exhausteurs de goût. D'ailleurs, en agroalimentaire, les extraits de levures servent à améliorer la sapidité des plats.Faute de catégorie adaptée, OEnolysat a été expérimenté comme un produit à base de mannoprotéines. Mais les oenologues bordelais qui l'ont manipulé notent qu'il colle les vins rouges et gomme leur astringence : il pourrait donc être présenté comme une colle. Le produit proposé par Spindal est qualifié de ' très différent ', mais le but recherché est identique : bénéficier des bienfaits d'un élevage sur lies sans en avoir les inconvénients. Baptisé Bâtonnage Plus, il renferme des écorces de levure, des tanins et de la gomme arabique. Ces trois composants étant autorisés sur le vin, Spindal assure que leur association l'est aussi. Pourtant, à la lecture de la brochure technique, ces produits semblent détournés de leur usage premier. Les écorces de levures ' à haut contenu en polysaccharides ' ne sont pas utilisées comme activateurs de fermentation, mais pour leur faculté d'enrichir le vin en colloïdes qui l'assouplissent, améliorent sa stabilité et diminuent sa sensibilité à l'oxygène. De même, les tanins ne sont pas présentés comme des adjuvants de collage, mais ils améliorent les caractéristiques gustatives des vins, et contribuent à leur caractère boisé. L'effet stabilisant de la gomme arabique est évoqué, mais elle apporte surtout de longues chaînes de polysaccharides qui améliorent la souplesse et la rondeur du vin.Malgré cette pirouette, les premiers utilisateurs de Bâtonnage Plus semblent satisfaits. Claude Berthaud, à la coopérative de Clessé (Saône-et-Loire), l'a utilisé sur des cuves de 250 hl pour remplacer l'élevage sur lies des blancs. ' Il amène du gras et affine les vins, qui goûtent mieux et sont plus nets. C'est une poudre que nous avons utilisée à 30 g/hl, avec un remontage tous les huit jours pendant un mois ', indique-t-il. Dominique Omes est oenologue en Gironde. Il a d'abord testé la nouveauté de Spindal en barrique. Devant des résultats très encourageants, il est passé à des cuves de 50 à 60 hl, puis à des volumes plus conséquents. ' Le plus frappant, c'est la rondeur. On enrichit les vins sans avoir les inconvénients de l'élevage sur lies, et ce en 30 à 45 jours. Sur les vins liquoreux, la prise de sucrosité est améliorée, les vins sont plus riches. Pour les vins en barrique, la prise de boisé est plus franche, plus onctueuse. ' Sur les rouges où l'élevage sur lies s'avère plus risqué, l'intérêt de Bâtonnage Plus lui paraît évident. L'un de ses clients, Frédéric Gonet au château Lesparre, l'a testé sur des cuves de 370 et 500 hl. ' Les lies ne sont pas toujours bonnes. Elles sont parfois réductrices ou apportent des mauvais goûts. Elles captent trop de couleur. Là, on a un produit industriel, bien calibré, indique Frédéric Gonet, qui a auparavant expérimenté l'élevage sur lies des vins rouges. Si le vin est à la fois tannique et gras, ce produit n'apportera rien, mais c'est rare d'obtenir cela. Ce produit corrige l'équilibre général du vin. ' Walter Mulinazzi, chez Spindal, ajoute que Bâtonnage Plus réalise un léger collage. Nicolas Vivas, de la tonnellerie Demptos, a travaillé sur cette préparation et souligne qu'elle limite l'emploi de bentonite. Bertrand Laulanet a expérimenté OEnolysat dans le cadre des essais autorisés par les fraudes. Il a travaillé sur des vins rouges en barriques, avec ou sans bâtonnage. ' Ce produit agit sur le gras et sur le volume des vins. L'action est très rapide, perceptible en quelques jours seulement ', témoigne-t-il. Dans l'ouvrage OEnologie, coordonné par Claude Flanzy, les auteurs indiquent que l'emploi de l'autolysat donne des vins blancs très comparables sur le plan sensoriel à ceux conservés sur levures pendant sept à huit mois. Une résolution concernant l'emploi des mannoprotéines dans les vins blancs sera proposée lors de la prochaine assemblée générale de l'OIV (Office international de la vigne et du vin), mais rien n'est en cours pour autoriser un jour l'emploi d'extraits de levure. Seule une résolution de l'OIV, déjà adoptée, évoque l'emploi d'autolysat, mais sur moût, comme activateur de fermentation.