Pour raconter leur histoire, les vignerons du pays d'Ensérune (Hérault) ont fait appel à la Compagnie du Kiosque, une troupe de comédiens qui a su dire leurs joies et leurs révoltes.
Ce 17 juillet 2001, la soirée est belle à Maraussan et les spectateurs, tout à leur bonheur, n'ont pas envie de rentrer chez eux. Ils préfèrent rester là, dans la fraîcheur de la cave, à savourer un verre de vin et à discuter pour prolonger un peu la magie du moment. Couleurs d'ivresse, la pièce qu'ils ont vue, a su évoquer les destins individuels et l'histoire collective des vignerons de ce pays. ' C'est toute notre vie ', relève avec émotion l'un d'entre eux après la représentation. ' Pour fêter le centenaire de cette cave, la première créée en France, nous avions envie de faire quelque chose qui puisse concerner chacun tout en contribuant à resserrer les liens entre tous ', explique Michel Bataille, président de la coopérative Les vignerons du pays d'Ensérune, qui regroupe depuis 1995 onze sections, dont celle de Maraussan.
L'initiative a été soutenue par le conseil général et les vignerons coopérateurs de l'Hérault. ' Nous avons choisi la Compagnie du Kiosque parce qu'elle est proche des gens. Jacques Brun, le metteur en scène et fils de vigneron, a pris le temps d'écouter et de s'imprégner du vécu de chacun avant d'écrire la pièce ', souligne Bernard Morin, de l'Office départemental d'action culturelle, qui a accompagné le projet. Pendant les vendanges 2000, des éléments sonores ont été enregistrés à la cave puis intégrés à la musique.
Durant huit mois dans les villages, la Compagnie du Kiosque a animé des ateliers de théâtre, de décors, de costumes et de lumière. Les habitants ont pu s'initier à ces pratiques artistiques et participer ensuite, en juillet 2001, à la création de la pièce, aux côtés des professionnels.
L'histoire commence au retour de la féria. La façade de la coopérative fournit le décor, se transformant avec les lumières au fil des scènes. Six amis viennent à la cave boire un dernier verre et attendre l'aube. Il y a là deux vignerons, Bernard, le président de la coopérative, confiant dans la force du groupe, Maurice, le rebelle, et leurs compagnes Laurence et Lucie. Et aussi Philippe, qui revient tous les ans au pays mais a oublié l'accent d'ici, et Pascalou, le caviste, fervent supporter de l'équipe de rugby de Béziers, qui sait parler avec son coeur. Au fil de la nuit, les histoires de chacun, avec ses joies et ses peines, se mêlent aux événements qui ont marqué la mémoire collective. Se succèdent en scènes vivantes, la venue de Jean-Jaurès à Maraussan, le télégramme envoyé par Marcelin Albert à Clémenceau ou encore la rencontre, au paradis, du vigneron et du gendarme tués à Montredon-lès-Corbières.
Mais le plus émouvant reste l'évocation de la blessure laissée par l'arrachage. La mère de Maurice rêvait que son fils devienne fonctionnaire, mais il n'était pas assez bon à l'école. ' Elève médiocre, fera un excellent viticulteur ', disait son instituteur. Mais c'est par passion qu'il a choisi la vigne. Il a dû reconstruire une exploitation, son père ayant tout arraché. Après être restés brouillés longtemps, ils vont se parler. Maurice va raconter à son père combien il l'admirait quand il le regardait tailler, passant tel un danseur d'une souche à l'autre, et son père va l'écouter, ouvrant la voie à la réconciliation des deux générations.