En 2001, les 1 500 cavistes français ont commercialisé 13,2 % des vins d'appellation vendus dans l'Hexagone. Ces professionnels aspirent à une plus grande reconnaissance de leur métier et revendiquent de pouvoir vendre les vins au même prix qu'à la propriété.
'Nous ne voulons plus vendre comme des épiciers, clame Jean-Marc Avram, président de la Fédération nationale des cavistes indépendants (FNCI) et caviste à Marseille. Le caviste du troisième millénaire est arrivé, avec les ambitions de jouer un rôle important dans la distribution du vin et d'être respecté par les producteurs. '
La revendication des cavistes : un vin doit être vendu au même prix chez les vignerons et les cavistes. Si l'on parle en francs pour faciliter la démonstration, leur souhait est qu'un vin à 18 F TTC (15 F HT) à la propriété soit vendu 10 F HT au caviste, c'est-à-dire avec un rabais de 30 %, pour être également commercialisé 18 F TTC chez le caviste.
' Avant même de goûter les vins, je demande au vigneron s'il accepte cette règle de me céder son vin 30 % moins cher , poursuit Jean-Marc Avram. Car si je vends à un prix supérieur à celui de la propriété, le client vient découvrir le vin chez moi, note le nom du vigneron et lui commande directement 100 bouteilles avec ses copains. Moi, je suis condamné à ne vendre qu'une bouteille en fin d'après-midi ! '
Ces propos soulèvent une question de fond : à qui appartient la clientèle ? ' Il faut que l'on joue le jeu , explique Claude Thomas-Labaille, producteur de Sancerre. Je travaille avec un caviste à La Rochelle, auquel je consens une remise de prix de 12 %, plus le port gratuit, soit une baisse totale de 20 %. Il m'est arrivé une fois qu'un de ses clients m'appelle pour me commander 48 bouteilles. Je lui ai dit d'aller voir le caviste et on s'est arrangé avec lui pour faire un geste commercial. Si je lui envoie le vin en direct et qu'il retourne voir mon caviste en lui disant qu'il est un voleur, personne n'est gagnant . '
Actuellement, seul un tiers des vignerons accepterait cette règle des 30 % de remise, les autres proposant des réductions allant de 10 à 20 %. ' Cette règle des 30 % est abusive , indique un vigneron du Sud-Ouest. La personne qui se rend chez le caviste y va surtout pour acheter quelques belles bouteilles. Le caviste peut donc vendre un peu plus cher que chez moi, car avec le prix du transport, cela reste plus intéressant de se rendre chez lui. Je comprends que les cavistes préfèrent vendre trois caisses de 6 bouteilles plutôt que 2 bouteilles, mais en appliquant la remise de 30 %, leur marge est supérieure à la mienne. De plus, l'attitude des clients ne repose pas que sur les prix. Pour 24 bouteilles, il préfèrera aller chez le vigneron pour se balader, mais aussi pour avoir plus d'informations. Car le vigneron reste plus pointu sur son vin qu'un caviste, aussi professionnel soit-il. '
La notion de cohérence des prix est logiquement beaucoup plus sensible en zone de production. ' Quand un vin est vendu au même prix qu'au caveau, les ventes peuvent être importantes , témoigne Thierry Riols, caviste à Apt (Vaucluse). Grâce à cette parité, je commercialise 5 000 bouteilles d'un producteur local. S'il y avait un écart, ne serait-ce que de 10 %, je n'en vendrai que 1 000 bouteilles. L'écart de prix entre le caveau et mon magasin ne doit pas justifier le déplacement pour le client. Par exemple, un rosé vendu 6 euros (39,40 F) au caveau ne doit pas dépasser les 6,40 euros (42 F, + 7 %) chez moi. '
La réponse des vignerons à cet appel des cavistes dépend de leur situation économique et de leurs circuits de distribution. ' Les producteurs du Languedoc-Roussillon acceptent cette remise car c'est leur seule solution pour pénétrer un marché de professionnels, analyse un caviste parisien. Ce sont eux qui nous sollicitent et nous sommes de bons prescripteurs des vins de cette région. A l'inverse, en Bourgogne où il y a peu de produits à vendre, les baisses de prix sont difficiles à obtenir. Mais là, nous pouvons jouer sur la rareté des vins pour s'octroyer une marge correcte. Comme les clients ne trouvent pas ces vins chez le producteur, la concurrence n'existe pas vraiment. '
Si les vignerons reconnaissent le rôle de conseil et de distributeur des cavistes, certains se montrent parfois agacés par la pression exercée par certains d'entre eux. ' Je suis souvent sollicité par des cavistes pour que je baisse mes prix de 30 % , raconte un vigneron d'une AOC prestigieuse. Je refuse car je n'ai pas besoin d'eux pour vendre mon vin, ce qui ne m'empêche pas de les respecter. A chaque fois, je m'entends dire que j'ai la grosse tête ! Les cavistes ont besoin de quelques bouteilles prestigieuses sur leur comptoir, même s'ils ne vendent que 10 bouteilles de ce vin par an. Soit ! Mais qu'ils arrêtent de clamer que sans eux, les vignerons ne pourraient pas vendre leur vin. C'est un circuit de distribution comme un autre. Ils ont besoin de nous, on a besoin d'eux. Et le métier le plus dur, cela reste tout de même de tailler les vignes quand il fait froid et de vivre avec le risque de gel, puis de grêle de mars à septembre . '