A Mendoza, principal vignoble argentin, la crise financière et économique subit par le pays renchérit le coût des matières premières, mais pourrait donner un coup de fouet aux exportations. De nombreuses caves ont stoppé leurs investissements et le marché intérieur souffre.
Fin 2001, les fêtes de fin d'année approchent, période faste pour les vignerons de Mendoza. Cette région regroupe 70 % des 208 000 ha du vignoble argentin. Mais les 19 et 20 décembre, leurs compatriotes sont descendus dans les rues des grandes villes pour clamer leur exaspération face à la crise dans laquelle le pays s'enfonce depuis quatre ans : vingt morts en deux jours et cinq présidents de la République en deux semaines. ' S ur les quinze derniers jours du mois, nous n'avons rien vendu , indique Daniel Immacolato, responsable des exportations chez Chandon, bodega française installée à Mendoza depuis des décennies. En 2001, nous avons commercialisé 16 millions de bouteilles, soit 1 million de moins que l'année précédente. '
Depuis, le marché intérieur n'a guère repris d'énergie. Il reste en deçà de ce qu'il est habituellement, soit une consommation de 36 à 37 l par an et par habitant. Le pouvoir d'achat des Argentins s'écroule. Au cours du mois de janvier, la baisse de la consommation dans le pays était de 8 % et, depuis, elle n'a pas cessé de s'accentuer. ' Elle concerne tous les types de vins ', commente Carlos Oviedo, de l'Institut national vitivinicole. Et cela va apparemment durer. Du côté de la production, les vendanges 2002, qui viennent de s'achever, ont donné 1 406 millions de tonnes de raisins. Un chiffre en baisse de 17 % sur 2001, notamment en raison des orages de grêle qui se sont abattus pendant l'été sur toute la région.
Par ailleurs, le corralito, qui bloque tous les comptes bancaires argentins, a empêché le paiement des vendangeurs. Les fonds ont finalement été débloqués, mais le démarrage de la récolte avait, entre temps, pris dix jours de retard. Cependant, ces vendanges sont, selon Michel Rolland, oenologue bordelais très présent en Argentine, ' les meilleures des dix dernières années '.
Les techniques nouvelles sont de mieux en mieux maîtrisées et on attend désormais plus volontiers une bonne maturité de la vendange malgré les risques climatiques. ' Ce mouvement a généré d'énormes investissements : environ 1 milliard d'euros sur dix ans, d'abord argentins, ensuite étrangers ', indique Juan Carlos Pina, directeur de l'organisation de producteurs Bodegas Argentinas. Ils ont porté sur la plantation de cépages améliorateurs, la mécanisation des vendanges, l'aménagement des caves, l'achat de fûts ou l'arrivée d'oenologues. On a aussi construit de toutes pièces de nombreuses caves. Souvent, les matériels et les technologies sont importées d'Europe ou des Etats-Unis.
Pour faire face à la crise générale du pays, les producteurs se tournent vers l'exportation, qui repré- sente à peine 10 % des ventes de vin. Il y a encore dix ans, l'essentiel de la production concernait les vins de table et était écoulé sur le marché intérieur. Depuis, avec les investissements réalisés et l'amélioration qualitative des vins, la viticulture argentine s'est ouverte au monde et grignote chaque année des parts de marché.
Avec la dévaluation du peso, passé en quelques mois d'une parité stricte avec le dollar à un flottement que le gouvernement tente de stabiliser autour de 3 pesos pour 1 dollar, les investissements argentins sont stoppés. ' La convertibilité peso-dollar aurait dû s'arrêter bien avant et ne pas être un remède à la crise , souligne Mariano Di Paola, responsable de la production à la bodega La Rural. Elle nous a permis d'accroître la technologie, mais elle a tué l'industrie nationale. Nous dépendons pour nos achats de l'extérieur et d'un dollar américain très cher... '
Le matériel ou les matières premières, payés en dollars, sont devenus inaccessibles. Par exemple, les prix des caisses en carton ont plus que doublé depuis le début de l'année. Pour les autres produits (machines, fûts, produits, bouchons, capsules, papier et encre des étiquettes), eux aussi importés, la hausse est déjà de 30 % et devrait se poursuivre. La chaîne de paiement n'est plus très fiable, les fournisseurs font la grimace. Certains se renseignent auprès des banques de leurs clients avant d'éventuelles livraisons.
En revanche, la fin de la parité devrait se traduire par un décollage des exportations. ' Nous devenons compétitifs à l'extérieur , se réjouit Daniel Immacolato. Il y a encore six mois, les vins australiens étaient deux fois moins chers que les nôtres. Maintenant, l'écart se resserre. ' Mais là encore, la situation n'est pas rose pour tout le monde. Seuls devraient pouvoir suivre ceux qui avaient déjà pris leurs marques sur des marchés extérieurs. Les vins exportés sont, en effet, taxés à 5 %, une somme à régler au moment de l'expédition, alors que le paiement de la marchandise ne se fait qu'à 90 ou 120 jours... sans que personne ne sache ce que sera l'économie argentine à ce moment-là. ' Aucune banque n'est prête à faire cette avance ', commente un responsable.
Et encore, les bodegas l'ont échappé belle. Le gouvernement a voulu faire passer, en avril, cette taxe de 5 à 20 % sur tous les produits exportés, mais l'organisation des Bodegas Argentinas est montée au créneau. ' La viande et les céréales argentines sont reconnues dans le monde entier , observe Juan Carlos Pina, mais pas le vin. ' Augmenter la taxe aurait coupé l'élan. Le gouvernement l'a compris et a maintenu un taux de 5 % pour le vin. Mais jusqu'à quand ? ' Nous sommes montés dans le train de l'exportation , commente-t-on, il nous faut maintenant rester dedans . '