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Les vignerons investissent les linéaires

La vigne - n°133 - juin 2002 - page 0

La grande distribution a soif d'' authentique '. Certains producteurs tentent l'aventure dans les linéaires. Les actions individuelles semblent plus porteuses que les démarches collectives.

Face aux peurs alimentaires engendrées par la vache folle, la grande distribution désire offrir une image rassurante, plus humaine. Elle veut de l'' authentique '. Cette volonté remet le terroir au goût du jour et les vignerons sur le devant de la scène. Les exemples ne manquent pas.
A l'été 2000, les magasins Leclerc ont lancé la gamme ' Nos vignerons ont du talent '. Depuis 1999, Carrefour multiplie les accords de filières... De leur côté, les producteurs tempèrent leur crainte et apprennent à travailler avec la grande distribution. Croiser des vignerons dans les linéaires s'inscrit dans l'air du temps.
Deux cas de figures coexistent : d'un côté, les actions de communication menées via le syndicat ou l'interprofession, de l'autre, des démarches individuelles.
Pour l'enseigne, l'opération est toujours bénéfique : le magasin voit son rayon de vins animé. Ses recettes progressent, sans que cela ne lui coûte rien. Plusieurs producteurs témoignent que, parfois, le coût des bouteilles offertes en dégustation n'est pas pris en charge par la grande distribution !
Le seul inconvénient soulevé par certains responsables de magasin tient au ' manque de professionnalisme des vignerons, transformés en animateurs des ventes '. ' On peut savoir faire un très bon vin, mais ne pas bien s'y prendre pour aborder les gens dans les rayons ', explique Daniel Rouillard, de l'agence Pyxide. Ce responsable, spécialisé dans le montage d'opérations de communication vers la grande distribution, constate : ' Il s'agit de deux métiers différents. Bien évidemment, il y a des gens doués pour les deux, mais ce n'est pas le cas le plus fréquent . ' Ce consultant n'encourage donc pas ses clients vers ce type d'actions. Son expérience avec les vins de Sauternes (Gironde) et les magasins Monoprix, menée en décembre 2000, lui fait dire qu'il ' ne faut pas mettre les producteurs en première ligne. L'idéal serait d'associer un animateur et un vigneron '.
Même s'il est encore trop tôt pour dresser un bilan de l'opération menée le mois dernier par l'Union viticole du Beaujolais dans les magasins Carrefour et Auchan, les premiers témoignages à chaud sont mitigés.
Au niveau de l'organisation, l'action relevait de la gageure : 600 vignerons à répartir, en duo, dans 336 magasins, le tout à travers la France et sur deux week-ends du mois de mai. L'intégralité des frais de l'opération, y compris le transport et l'hébergement des volontaires, a été prise en charge par l'UIVB. Au total, le budget s'est élevé à 170 000 euros. Du côté logistique, si tout a été, semble-t-il, bien mené, il n'en est pas de même de l'accueil des participants, in situ.

Parmi les problèmes rencontrés, on relève des responsables d'hypermarchés mal informés, des chefs de rayon débordés qui n'avaient pas préparé l'accueil des vignerons, et quelques refus de participer à l'opération... Au final, des producteurs se sont vus refuser l'accès aux magasins. Plusieurs ont eu le sentiment d'arriver comme ' un chien dans un jeu de quilles '... Bref, de nombreux vignerons ont eu la désagréable impression de perdre leur temps. Les incidents rapportés sont souvent le fait d'un manque d'investissement de la part des responsables des magasins.
' Entre la volonté de la direction nationale de jouer à plein la carte terroirs et les réalités de terrain où les chefs de rayons sont débordés, il y a un pas , analyse un observateur extérieur. Il faut comprendre que dans le cas d'opérations collectives de ce genre, l'implication des vignerons s'assimile à du bénévolat. Son vin n'est pas forcément en rayon... Il donne son temps pour la collectivité... S'il se sent mal accueilli, il se désinvestit rapidement. C'est compréhensible... '
Sans compter qu'il est difficile de mesurer l'impact de ces actions collectives. L'UIVB mène un sondage auprès de ses vignerons pour mesurer le taux de satisfaction des participants à l'opération. Lorsque la dégustation relève d'une opération commerciale menée, en direct, par le vigneron, il est plus facile d'en mesurer les effets. Dans ce second cas, le producteur est dans la même situation que lorsqu'il reçoit au caveau : il vend ses bouteilles. Il parle plus facilement du vin qu'il a fait lui-même. On comprend qu'il fasse preuve de conviction !
' Ces actions individuelles ont ma préférence ', souligne Patrick Brillard, directeur de la cave d'Auchan, un hypermarché spécialisé dans la vente de vin, situé dans le département des Yvelines. Depuis bientôt sept ans, il se félicite de la venue de Louis Hauller, vigneron alsacien, et de son épouse qui, deux à trois fois par an, organisent une journée de dégustation dans le magasin. L'opération est menée en costumes traditionnels et remporte, aux dires du chef de magasin comme du producteur, un franc succès. Le fils, Claude Hauller, organise également des dégustations dans des hypermarchés de la région strasbourgeoise. ' Cela booste nos ventes, mais surtout ces journées nous amènent de nouveaux clients. Pour ceux qui nous connaissent déjà, c'est l'occasion de monter en gamme ', explique Claude Hauller.

Même analyse de Laurent Poitevin, vigneron à Saint-Emillion (Gironde). Depuis six ans, il va régulièrement à Paris pour des dégustations organisées avec son acheteur, Lafayette Gourmet. Situé à Chaussée-d'Antin, ce haut lieu du shopping touristique lui a permis de rencontrer, par un heureux hasard, des professionnels étrangers intéressés par ses vins. De plus, l'image prestigieuse offerte par cette chaîne est rassurante pour ses clients habituels. A côté de ces ' collaborations ' réussies entre producteurs et grande distribution, signalons que certaines enseignes, peu scrupuleuses, n'hésiteraient pas à utiliser des animateurs professionnels en les présentant comme des vignerons... Après les faux papiers, attention aux vignerons en toc !

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