Pas facile d'implanter le vin et les eaux-de-vie de vin dans les bars et les boîtes de nuit où règnent les jeunes fêtards. Des opérateurs audacieux estiment que ces produits y ont leurs chances, à condition d'adopter tous les codes de la communication branchée.
C'est une véritable gageure. La toute jeune société de négoce rivesaltaise Albera, créée en juin 2001, cible le monde des jeunes noctambules. Deux frères, Fabrice (28 ans) et Alexandre Rieu (25 ans), et un vigneron, Laurent de Besombes (26 ans), ont une approche qui sort des sentiers battus. Leur défi ? Faire entrer le vin dans l'univers des jeunes, ' et non l'inverse ' martèlent-ils. Ils ont créé une marque Nayendei, une contraction de night and day (nuit et jour), et proposent ' les premiers vins à s'imposer dans les restaurants tendances, en bars de nuit, lieux branchés et discothèques '. En juin 2001, ils lancent leur premier produit, un muscat-de-rivesaltes. ' Le plus facile pour communiquer avec les jeunes, car ils aiment bien les saveurs fruitées et sucrées ', affirme Fabrice Rieu. La bouteille classique est relookée, afin qu'elle soit présentable en bars de nuit : épaules hautes, étiquetage transparent, ' qui met en valeur la couleur dorée du produit '.
' Pour être attractifs, nous utilisons les codes de communication modernes ', continue Alexandre Rieu. Ecriture verticale, étiquettes transparentes, couleurs insolites. En novembre 2001, Bubbles arrive sur le marché : c'est un muscat pétillant de 11°5, dont la vocation est de concurrencer la bière et le champagne. Les boîtes, restaurants et bars branchés de Barcelone, Montpellier, Toulouse et Perpignan accrochent. Puis viennent un rouge (Na), un rosé (Yan), un blanc (Dei), et un muscat sec (Zen). Chiffre d'affaires escompté pour 2002 ? 300 000 euros contre 50 000 euros sur les six premiers mois de l'année 2001. Pas mal pour un début.
Les trois compères tirent toutes les ficelles de la débrouillardise et ne ménagent pas leur peine. ' Le plus difficile a été le regard négatif, défaitiste des professionnels de la filière, poursuit Alexandre Rieu. On nous a dit 'c'est impossible'. On a montré l'inverse. ' Une fois leurs produits connus, ils se lanceront dans les circuits de distribution traditionnels. Sont-ils des avant-gardistes ? Des fous qui courent à l'échec ? L'avenir le dira.
D'autres initiatives pour implanter le vin et les produits dérivés dans l'univers des jeunes et de la nuit existent, mais ils sont rares. ' Le gros problème reste la distribution car les marges sur l'alcool sont nettement plus importantes ', constate Jean-Marc Koch, du CIVB (interprofession bordelaise). Pourtant, depuis quatre ans, le CIVB organise avec succès des manifestations dans les lieux modernes et branchés parisiens. De plus, l'opération Happy Bordeaux - un verre de bordeaux offert pour un verre commandé entre 18 et 20 heures - menée dans les bars bordelais au mois de mars 2002, sera étendue sur le plan national dès l'année prochaine. Et la filière veut compter avec les nouveaux établissements qui ouvrent dans la capitale et les grandes villes françaises : restaurants lounges (bars où l'on est confortablement installé), concepts afterworks (lieux où les jeunes se rendent directement après le travail), restaurants-boîtes, etc.
Au Chai 33, à Paris, un bar-restaurant ouvert par Thierry Bégué, patron de cinq enseignes branchées de la capitale, on n'hésite pas à bousculer les habitudes. La star est le vin, présenté en six codes couleurs correspondant à des thèmes différents : légers et mordants, secs et tendres, frais et gourmands, fruités et intenses, riches et soyeux, doux et éclatants. Audacieux, le bar propose même des cocktails à base de vin, préparés dans un shaker, les New Wines spirit. Une petite révolution.
Il est vrai que la consommation, en boîtes de nuit, de vins et eaux-de-vie de vin est voisine de zéro, mis à part le champagne. Et encore ' les champagnes sont quasiment invendables , affirme Patrick Malvaës, président du syndicat national des discothèques. Ils doivent représenter à peine 2 ou 3 % des ventes. Beaucoup trop chers, ils ne sont pas pratiques à écouler au verre, car ils s'éventent. ' A l'en croire, ' les vignerons ont loupé le coche. Le cognac aurait pu se substituer au whisky, mais empêtré dans sa légende de produit haut de gamme, il a raté le créneau. '
Hennessy tente de revenir sur les lieux de fête avec son Pur White, un cognac dont l'ambassadeur est Carl Héline. Cet éminent spécialiste des nuits branchées parisiennes explique : ' Il n'est pas facile de dépasser l'image vieillotte du cognac, de faire comprendre aux Français qu'il se boit en long drink . ' Quatre ambassadeurs ont été embauchés pour promouvoir Pur White, en appui des commerciaux. Leur mission : établir des rapports amicaux et présenter les produits aux clients. Pure pulp, par exemple, est proposé sans que le mot cognac ne soit prononcé. ' C'est un cocktail à base de pulpe de raisin, sucre roux, un squeeze de citron vert, de glace pilée et... de Pure White . ' Hennessy cible les trendsetters, ' ceux qui font la mode ', qui entendent se démarquer et consommer des produits nouveaux avant les autres. Un travail de fourmi. Les moyens mis en oeuvre sont conséquents et ' confidentiels '.
La maison de Champagne Pommery est tout aussi discrète sur les sommes engagées pour l'implantation de Pop, son champagne ' rebelle ' conçu pour plaire à la génération des 25-35 ans, conditionné dans une petite bouteille de couleur bleue et acier de 20 cl, voué à être bu à la paille, voire à la bouteille. 200 000 cols ont été vendus en 2001. ' Le monde de la nuit est coûteux en prospection, sans compter que c'est une clientèle qui paie mal. Rares sont les petites maisons qui s'y aventurent ', explique un opérateur. Comme le confirme l'échec ' provisoire ' de l'Anda, un premix à base d'armagnac lancé pour satisfaire une clientèle jeune de 20-30 ans. ' Nous n'avions pas assez mesuré la pression concurrentielle, souligne Pierre Samalens, directeur des armagnacs Samalens, partie prenante du projet. Nous n'avons pas réussi à percer, non pas par manque d'intérêt des consommateurs, mais par l'inadaptation des moyens commerciaux et des budgets face à des mastodontes internationaux. '
Le rôle de prescripteur du milieu de la nuit n'est plus à démontrer. Pierre Dubarry, directeur des cognacs Moyet, confirme : ' Le contact personnel, la présence et la relation sont très importants et, finalement, le lancement s'obtient par le bouche à oreille . ' C'est également l'avis de Benoit Comprexelle qui prépare le lancement d'Alizé jaune ou rouge, des cognacs L&L, un mélange à 16° de cognac et de jus de fruits de la passion et d'airelle qui fait un tabac aux Etats-Unis depuis une quinzaine d'années. La cible prioritaire est la jeune femme de 24-35 ans. La petite bouteille en verre opaque de 200 ml a été dessinée pour lui plaire. Produit coloré, festif, c'est seulement cet été qu'il a été lancé en France. Il était temps.