Défricheur de garrigue et bâtisseur, Jean-Noël Bousquet ne s'est pas laissé abattre par les inondations qui, en 1999, ont noyé sa cave. Il a construit un nouveau chai, et pour cela s'est lourdement endetté, mais il continue à planter.
Tous les ans, je me dis que c'est la dernière fois, mais c'est en plantant de nouvelles vignes que je me réalise ! , affirme Jean-Noël Bousquet, vigneron à Lézignan-Corbières (Aude). Il n'a pas encore fini de rénover de fond en comble la cave qu'il a achetée pour remplacer celle noyée par les inondations de 1999 que, déjà, il vient de défricher 5 ha de garrigue. ' Le lieu m'a plu, j'ai craqué et j'ai acheté ', avoue-t-il.
Depuis trente ans, guidé par son intuition, il se construit un vignoble. En 1973, alors que d'autres se battaient pour des vignes de plaine, il a acquis 1,4 ha en coteaux. Il avait 18 ans. Tout en travaillant comme manoeuvre chez un maçon, ou comme livreur, il a continué à planter autour de la parcelle. Aujourd'hui, il cultive 66 ha, mais c'est avec ce noyau initial qu'il élabore sa cuvée haut de gamme, Terres rouges.
Dès le départ, Jean-Noël Bousquet a planté de la syrah, du grenache et du mourvèdre. ' J'étais prêt pour le passage en appellation qui s'est fait en 1985. Je produisais 40 hl/ha. Ma cave coopérative me payait l'hectolitre au même prix que si j'avais produit 120 hl/ha. Je n'avais aucune chance de m'en sortir. En 1988, j'ai négocié mon départ et acheté le domaine Château Grand moulin, à Luc-sur-Orbieu. Le prix du foncier était en chute libre, c'était le moment d'investir . '
Grâce à son acquisition, sa surface passe de 24 ha à 46 ha. Comme il quitte la coopérative, il peut vinifier ses raisins. Il essaye d'abord la macération carbonique, puis il s'équipe d'un égrappoir. ' Je me suis donné comme référence les vins que j'aimais boire. J'ai cherché à obtenir de l'élégance et de la finesse ', explique-t-il. Dès 1990, il sort ses premières bouteilles de corbières : le millésime 88 élevé en fût de chêne. Quatre ans plus tard, après avoir obtenu une médaille d'or à Montréal, il vend 200 000 cols. ' Les banquiers ont commencé à me sourire, mais pour obtenir des prêts, c'était une autre histoire ! '
Dans les locaux attenants au moulin, il avait construit des logements, un bureau, une salle de dégustation et un chai de stockage et d'élevage. En avril 1998, les travaux étaient finis. En novembre 1999, la crue subite de l'Orbieu dévastait tout. Le domaine, installé au bord de cette rivière, en souffre durement. ' L'eau était déjà montée jusqu'à 3 m dans le passé, mais cette fois-ci, elle a atteint 7 m. Elle a tout écrasé à l'intérieur ' , raconte Jean-Noël Bousquet avec émotion. Ce jour-là, il a quitté le bâtiment juste à temps.
Seuls 2 ha de vigne ont été emportés. La récolte 1999, encore dans le chai de vinification situé dans le village, a pu être préservée. La récolte 1998 était élevée au moulin dans quatre cuves en béton qui ont résisté et dans des barriques dont seules quelques-unes ont pu être récupérées. Jean-Noël Bousquet a commencé à embouteiller ces 1 125 hl de vins chez un ami, quinze jours après la catastrophe. Ainsi, il a pu continuer à servir ses clients.
' La solidarité nous a mis du baume au coeur. J'ai bénéficié de nombreux soutiens et, en premier lieu, de celui de mes salariés. Ce domaine, nous l'avions construit ensemble. Je ne pouvais que continuer, il n'était pas question de baisser les bras. ' Bien couvert par son assurance, Jean-Noël Bousquet a été indemnisé à 50 % des pertes évaluées par les experts. Mais il a dû se battre pour obtenir de s'installer dans un lieu éloigné de tout cours d'eau, le contrat prévoyant une reconstruction sur site. Il a également bénéficié de 45 700 euros d'aides du Conseil régional. En 2000, il a vinifié chez des amis. En 2001, il a racheté un ancien chai de négoce à Lézignan-Corbières. Après six mois de travaux, il a pu y vinifier sa récolte. ' Je savais ce que je voulais. Je me suis équipé de cuves tronconiques en Inox, fabriquées en Espagne, ainsi que d'un robot pigeur. J'ai aussi investi dans deux groupes de froid 30 000 et 60 000 frigories, pour bien maîtriser les températures et pouvoir pratiquer une macération préfermentaire à froid. Avec ce nouvel outil, j'ai franchi une étape. ' Pour réaliser ces investissements, il a dû emprunter 1,067 million d'euros et il lui reste encore 229 000 euros de travaux à faire. ' En 2004, je devrais finir de rembourser mes prêts. A cause de la catastrophe, je me suis endetté pour quinze ans de plus. ' Sa gamme est composée de quatre rouges vendus à l'export entre 2,81 et 9,15 euros/col, de deux blancs entre 2,81 et 6,56 euros/col et d'un rosé à 2,15 euros/col. ' Les années exceptionnelles, j'élabore une cuvée grand millésime, mais je ne cours pas après les vins de garage. Je préfère avoir un coeur de gamme d'un bon niveau ', précise Jean-Noël Bousquet.
En 2001, il a commercialisé 230 000 bouteilles à un prix moyen de 3,2 euros/col départ propriété. En 2002, malgré la conjoncture défavorable, ses ventes augmentent de 5 % en volume et de près de 10 % en valeur. ' Depuis deux ans, c'est sur le marché français que je progresse. ' Il s'occupe des relations publiques et du commercial. Mais son objectif reste de revenir au vignoble. ' Depuis trois ans, j'enherbe et je rehausse mes palissages, et en 2000, je suis revenu à une taille courte pour mieux maîtriser mes rendements qui varient entre 30 et 50 hl/ha. Le vin s'élabore à 80 % au vignoble. C'est là que je trouve mon ancrage. Quand j'ai besoin de me remonter le moral, je fais le tour de mes vignes. Si elles vont bien, tout va bien. '