Dix-huit commissions de contrôle des rendements ont sillonné le vignoble avant les vendanges. Une première qui marque un changement de mentalité.
Sur les 10 % du vignoble inspectés, les commissions de contrôle des rendements, qui ont sillonné la Champagne aux mois de juin et juillet derniers, ont relevé quatre parcelles aux rendements excessifs (1,75 ha). Elles ont été déclassées. Onze propriétaires ont reçu des cartons jaunes (7,18 ha). Au total, trente-six communes ont été inspectées. ' Nous avons ciblé en priorité celles des responsables professionnels et celles où il y avait des problèmes connus ', explique Pascal Autréau, vice-président du Syndicat général des vignerons.
Composées d'une dizaine de personnes (représentants de l'Inao et du négoce, techniciens, vignerons, président de la section locale), ces commissions ont reçu, au départ, un accueil plutôt froid. Les onze rappels à l'ordre ont été faits par courrier. Ils ont porté sur des vignes mal relevées ou palissées, des tailles tardives, des insuffisances de traitement, des pieds manquants... Quant aux quatre cas de déclassement, ils relevaient de ' situations extrêmes '.
' L'objectif était surtout pédagogique cette année ', remarque Pascal Autréau. L'an prochain, les commissions repasseront dans certaines communes déjà visitées cette année, et dans des parcelles où sont signalés des problèmes récurrents. La publicité faite autour de leur passage devrait augmenter leur audience et faire jouer au mieux la peur du gendarme. Enfin, un règlement intérieur est prévu pour ' que tous parlent le même langage '.
En Champagne, les mentalités sont encore marquées par les petites récoltes des années 80, à 3 000 ou 4 000 kg. Or, aujourd'hui, le contexte a changé : moins de gel, des solutions techniques pour protéger le vignoble contre les ravageurs ou les maladies...
Désormais, un bon vigneron n'est pas celui qui récolte le plus, mais celui qui ne fait pas d'excédent. Le problème est que 30 à 40 % du vignoble est constitué de vignes jeunes, dont une bonne partie a été plantée sur des terrains neufs, l'aire d'appellation étant passée de 20 000 ha en 1980 à 30 000 ha actuellement. De plus, les clones choisis dans les années de pénurie l'étaient pour leur productivité alors, qu'aujourd'hui, sont privilégiés des clones qualitatifs. ' Taille courte et absence de fumure ne suffisent pas à contenir ces chevaux fous, surtout dans les chardonnays, remarque Pascal Autréau, mais ces vignes vont vieillir... '
En 2002, peu de raisins sont restés sur les vignes. Le contraste est frappant après trois années pléthoriques. La nature s'est mise de la partie pour maîtriser les rendements, mais elle n'est pas la seule. ' Beaucoup ont fait l'effort de laisser moins de bourgeons par hectare ', constate Pascal Autréau.
Christian Renard, directeur des vignobles Veuve-Clicquot (260 ha en exploitation directe) explique sa démarche en quatre étapes : ' Nous travaillons sur la prévision de la montre (sortie de grappes, NDLR) donnée par le CIVC. L'an dernier, 70 % de nos vignes ont eu une taille plus courte ; cette année, ce sera 40 %. Deuxième levier : l'ébourgeonnage fructifère réalisé sur 40 % de la surface. Troisième niveau de maîtrise au moment du premier traitement curatif de la cochylis. Nous avons monté le seuil d'intervention, normalement de 30 glomérules pour 100 grappes, à 50 sur 20 % des vignes. Enfin, sur 1 %, nous sommes intervenus en provoquant de la coulure par traitement chimique ou, ensuite en vendanges en vert. Auparavant, nous nous limitions à une taille plus courte sur les chardonnays. La maîtrise raisonnée se justifie agronomiquement. Pourquoi bichonner des mois durant ce qu'on va faire tomber. En éliminant les contre-bourgeons, l'ébourgeonnage fructifère fonctionne comme une avance de fonds sur la taille de l'année suivante. '
Président de la section locale de Bouzy, Hubert Dauvergne a aussi constaté ces efforts sur sa commune. ' C'était notre deuxième année de suivi, dit-il.
On a vu de l'ébourgeonnage fructifère, ce qui est nouveau par ici. A partir d'une montre assez importante sur Bouzy, ces efforts de limitation de volume ont été payants. La moyenne se situe quand même entre 14 000 et 15 000 kg/ha. '
De ces tournées, Pascal Autréau retient tous les essais mis en place par les viticulteurs (enherbement, azote zéro. ..). A tel point que le système de taille champenoise pourrait être révisé. ' Le décret d'appellation ne précise que la plantation et la taille, poursuit-il. On sera amené à revoir et à compléter ces conditions écrites comme l'installation, l'attachage des bois, l'ébourgeonnage. ' Le décret instaurant une obligation de vendanger est paru le 5 novembre, donc après coup. Sur ce point, l'Inao s'est contenté, cette année, de simples courriers et non de sanctions. Une pédagogie qui fait prendre conscience que l'AOC est patrimoine commun. Voir une parcelle non récoltée ou à moitié en friches au bord d'une route touristique, cela touche à l'image du Champagne.
La démarche reste délicate face à l'agacement provoqué par toujours plus d'obligations et de contrôles, face aussi aux risques propres à un vignoble septentrional, marqué par une météorologie capricieuse. Responsable du vignoble à la Covama, à Château-Thierry, Frédéric Feltrin commente : ' Compter le nombre de grappes au mètre carré, c'est facile. Mais on ne domine pas le poids de la grappe. Son évolution au cours des deux derniers mois est lié au climat. ' En 2001, il a explosé pour s'établir entre 160 et 170 g. En 2002, le beau temps avant vendange l'a maintenu à 110 g et la maturité fut excellente.
Avec quatre à cinq régions, une multiplicité de terroirs, la Champagne a bien du mal à déterminer un rendement maximum, comme la presse l'Inao. Elle demande du temps pour trouver un consensus...