Plusieurs responsables professionnels ont pris position en faveur de l'assouplissement des règles de production et d'étiquetage des AOC. Le président du syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs s'y est clairement opposé.
A Bordeaux, on n'a pas hésité à aborder les questions du moment de manière radicale. En premier lieu, celle de la voie à suivre pour que la filière retrouve une plus grande compétitivité. Dans la région, beaucoup pensent qu'elle consiste d'abord à suivre les acheteurs et les consommateurs. Si les clients préfèrent des saveurs plus sucrées, des structures plus souples, pourquoi pas ? On peut évoluer, sans pour autant vendre son âme ! Tels ont été les leitmotivs de l'année 2002. Ils ont été défendus à de multiples occasions par quelques-uns des principaux responsables professionnels. Nous leur avons demandé d'exprimer leur point de vue à l'occasion de notre bilan de l'année 2002.
' On a changé de siècle, remarque Xavier Carreau, le président de la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGVB). Nous devons suivre avec beaucoup d'attention l'évolution des techniques et veiller à ce que nos administrations ne mettent pas trop de freins à leur développement quand elles sont compatibles avec nos appellations. '
' Enfermée dans sa position de leader, la viticulture française n'a pas su écouter les attentes des marchés , dit Jean-Louis Trocard, vigneron et président de l'interprofession. Si une appellation régionale veut mettre 'merlot' ou 'cabernet' sur la bouteille, pourquoi se priverait-elle de cette lisibilité demandée par le marché ? Ce serait scandaleux ? Mais on le fait déjà ! ' Et les copeaux dans le vin ? ' Mais c'est une pratique courante dans nos campagnes. Levons le voile hypocrite ! Je n'ai pas dit qu'il faut le faire. Mais ouvrons la discussion ! '
' A titre personnel, je regrette que ce débat, jugé inconvenant sur les cépages, arrive si tard , glisse Dominique Hessel, président des crus bourgeois du Médoc. Le cépage est une information importante pour le consommateur. Afficher plusieurs cépages est une façon de rappeler que nos appellations sont des vins d'assemblages. '
' Les marchés ont énormément évolué, complète Gilles Grenier, président de la Fédération des coopératives vinicoles d'Aquitaine. On ne peut pas traiter tous les vins de Bordeaux de la même manière. Il y a les vins de niche et beaucoup de vins de moyenne gamme qui pourraient trouver un intérêt, même en dehors de la question des coûts de production, à entrer dans un cadre plus souple, mais toujours avec l'obligation d'imposer des contrôles. '
La FGVB, comme le CIVB ou la coopération, ne sont pas favorables à une sous-catégorie de vins qui seraient produits dans la région bordelaise. ' Nous sommes dans la famille des AOC et nous devons y rester. L'intérêt d'une famille, c'est d'être unie, plaide Dominique Hessel. Cette union passe par la reconnaissance des différences de chacun. '
' Ça suffit, arrêtons ! rétorque le nouveau président du syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur, Alain Vironneau. Je représente un syndicat viticole qui fait en surface 16 % des AOC françaises, 55 % du vignoble bordelais et 6 800 viticulteurs qui donnent le meilleur d'eux-mêmes. Notre conseil d'administration s'est clairement positionné. Notre action a pour but de faire progresser nos AOC, en écartant de fait la possibilité de déroger la règle des 100 % pour le millésime, d'utiliser des pratiques oenologiques nouvelles ou déviantes, et de mettre en avant des cépages en lieu et place de l'AOC. '
' Les vins de Bordeaux, ce sont plus de 6 Mhl, 3,8 Mhl pour ce qui nous concerne, des vignerons capables d'offrir des oeuvres d'art magnifiques, des crus de grande renommée. Bordeaux peut aussi faire une large gamme de produits, capable de répondre aux goûts des consommateurs. Commençons par appliquer et faire appliquer les textes !
Si quelqu'un a des difficultés, aidons-le à rester dans le club. L'AOC est un devoir collectif ', déclare Alain Vironneau.
' La règle des 80 % pour le millésime et la mention des copeaux ou des cépages ne peuvent être utilisées que pour les produits autres que les AOC ', note Christian Delpeuch, président des maisons de négoce de Bordeaux, qui trouve intéressant l'idée de créer une catégorie de produits qui correspondraient aux critères internationaux. ' Ce serait utile pour vendre des volumes importants de vins qui ne peuvent prétendre à l'AOC, pour accueillir les producteurs qui considèreront trouver de meilleures opportunités que dans l'orientation terroir. '
' Le concept d'AOC qui admet en son sein aussi bien du saint-julien que du beaujolais nouveau a fait la preuve de son adaptabilité , explique encore Jean-Louis Trocard. C'est ce concept renouvelé qui doit éviter les confrontations inutiles entre vins de pays et vins d'AOC et permettre à certains produits de l'AOC de bénéficier des mêmes droits que ceux de nos concurrents. ' Les prémices d'une révolution ? ' Plutôt d'une évolution, tempère Jean-Louis Trocard qui concède toutefois : au niveau des collègues de la Cnaoc, on se fait presque siffler quand on défend ces idées. On sent un mouvement hostile, mais pris individuellement, chacun réfléchit. Il appartient aux vins de Bordeaux d'avoir l'audace de faire des propositions qui ne seront pas, pour autant, un renoncement. '