Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 2003

Roumanie : un pays empêtré dans l'héritage communiste

La vigne - n°140 - février 2003 - page 0

Les grandes fermes d'Etat, issues de l'ère communiste, ont toutes les peines du monde à se moderniser. Par manque d'argent, les petits propriétaires plantent des hybrides. De rares étrangers parient sur ce pays, où il est très difficile d'acheter de la terre.

Dans les années quatre-vingt, Luminitça Watkins exportait des roulements à billes : ' C'était facile et planifié ', se souvient-elle. Aujourd'hui, cette Roumaine de 48 ans est directrice export de Panciu, une ferme vitivinicole, située près de Vrancea, que l'Etat roumain a privatisée en octobre 2000. Elle fait partie de l'Association des employés de la société, organisation qui en détient 70 % des parts. Comme de nombreux collègues, elle s'est lancée dans l'économie libre, sans trop en mesurer les difficultés.
Panciu gère 2 500 ha, dont plus de 1 400 ha de vignes, le reste en céréales, betterave et tournesol. La cave produit annuellement 140 000 hl de vin, dont 30 000 hl de mousseux. Une partie de la terre est entre les mains de l'Etat, le reste appartient à des petits propriétaires, dont la plupart n'ont aucune connaissance en agriculture et louent leur bien à Panciu.
Comme tous ces mastodontes issus de la privatisation des fermes d'Etat, Panciu semble mettre ses espoirs dans les prêts européens Sapard. Ces derniers sont accordés aux entreprises agricoles des pays d'Europe centrale et orientale, qui vont entrer dans l'Union afin de les aider à se mettre à niveau. L'enveloppe est de 2 millions d'euros au maximum par entreprise. Panciu les attend ' pour les pressoirs, la clarification, la filtration, les laboratoires d'analyses physico-chimiques... ', énumère le directeur. Cela suffira-t-il à remettre sur les rails cette cave et ses consoeurs issues du régime communiste ?
' Difficile de savoir, admet Basil Zarnoveanu, président de l'Association des producteurs et exportateurs de vins de Roumanie. Celles où les investisseurs assurent du cash flow se développeront. Les autres ne tiendront pas. ' Car, précise-t-il, sur les 150 Meuros d'aides européennes alloués au développement rural et agricole de la Roumanie, seulement 4,9 Meuros sont destinés à la viticulture ! ' Des aides pour investir, et non pas pour assurer la survie quotidienne . ' Si l'Europe représente l'espoir, la concurrence mondiale est un sujet tabou pour ces nouveaux patrons : ' Voulez-vous me décourager, que je fasse un autre métier ? ', demanda l'un d'entre eux.

Les nouveaux dirigeants ont encore d'autres soucis. Ralea Viorel, 52 ans, est à la tête de Bucium, une société située dans le nord du pays, près de Iasi, et qui produit 38 000 hl de vin issus de 950 ha. ' Après la Révolution (de 1989, ndlr), on a fait des petites révolutions, explique-t-il. Les chefs ont été remplacés par des gens moins autoritaires et moins exigeants. Ceux qui étaient fermes se sont retirés de peur de contrarier les masses. '
Quand Ralea Viorel est arrivé à Bucium, en 1990, il a eu peur de ne pas savoir s'adapter, car il aime le travail bien fait et la ponctualité, des qualités associées au communisme... ' Pendant un temps, la démocratie a été mal comprise, poursuit-il. Un bon chef était celui qui ne vous demandait rien. Nous sommes un pays de vignerons, le huitième mondial en surface. On ne peut pas dire la même chose en production. Celle-ci décline depuis 1989 . '

La Roumanie enchaîne les handicaps. Son vignoble est dans un état catastrophique. Plus inquiétant encore : l'invasion des hybrides. Les nouveaux propriétaires, auxquels l'Etat a rétrocédé des terres, se sont mis à arracher les Vinifera au profit d'espèces résistantes aux maladies, malgré les interdits de la loi. Sur 230 000 ha de raisins de cuve, 119 000 ha sont des hybrides. Un obstacle à l'entrée dans l'Europe : ces hybrides, il faudra les supprimer, ' avec le risque de détruire la vie de milliers de familles ', s'inquiète Basil Zarnoveanu.
Vu la situation, les investisseurs extérieurs hésitent. Le plus gros problème rencontré concerne l'acquisition des terres. Il faut compter 2 000 euros/ha en moyenne, mais pour constituer un vignoble d'un seul tenant, la négociation se fait avec des centaines de petits propriétaires... ' Une société de droit roumain ne peut pas acheter de la terre à l'Etat ', explique Basil Zarnoveanu.
Malgré ces obstacles, Prahova Winecellars croit en la Roumanie. Cette société a été créée en 1997. Elle a pour actionnaire majoritaire Halewood, distributeur indépendant de vins et d'alcools en Grande-Bretagne. Depuis 1987, Halewood importait du vin. En raison de l'irrégularité de la qualité, le groupe a décidé de produire lui-même en Roumanie. Dans la région du Dealu Mare, au sud du pays, le directeur Dan Muntean aimerait se procurer des centaines d'hectares. Il lui faudra de la patience : ' Cela fait trois mois que nous négocions 10 ha... ' Mais ce Roumain qui vit à Londres garde espoir : ' Nous comptons établir une pépinière avec une société française, si elle réussit à acheter des terres... '
Guy Tyrel de Poix tient bon, lui aussi. Sa société Serve est toujours présente à Ceptura. Il s'est lancé dans l'aventure roumaine en 1995. Après quelques années de collaboration avec une ancienne cave d'Etat, il a bâti sa propre cave où il vinifie des raisins achetés. ' C'est la pagaille, mais le potentiel est énorme ', disait-il en 1996. Depuis, il a dépensé beaucoup d'énergie et d'argent, mais n'a pas changé d'avis. Ses bouteilles se vendent sur le marché local qu'il considère comme sa ' vache à lait ', ' 50 % plus cher que le vin roumain le plus cher '.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :