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La chasse au salariat déguisé est ouverte

La vigne - n°141 - mars 2003 - page 0

Parce qu'être employeur comporte de plus en plus d'obligations, certains exploitants ont recours à des entreprises de travaux agricoles. La MSA et l'inspection du travail veillent à ce que cette sous-traitance ne devienne pas le moyen de contourner le droit social.

Entre l'application des 35 h, la réglementation sur les accidents du travail et la paperasse liée à la gestion des salaires, embaucher du personnel s'assimile peu à peu à un casse-tête chinois. Pour alléger cette charge, les exploitants préfèrent de plus en plus avoir recours à une entreprise de travaux agricoles. ' C'est une tendance générale dans le monde du travail, qui se confirme dans le secteur viticole ', observe un inspecteur du travail.
Il est vrai qu'à priori, la position de donneur d'ordre est plus confortable que celle d'employeur : en tant que client, l'exploitant a ' juste ' l'obligation de régler la facture. C'est à l'entrepreneur d'effectuer les travaux demandés avec son propre matériel. C'est lui qui doit diriger ses salariés, appliquer les règles de sécurité... Bref, il assume les difficultés inhérentes à l'embauche de personnel. Conscients du risque de dérapage en salariat déguisé, l'inspection du travail et la MSA veillent au respect strict de la réglementation.

' La première chose à vérifier est que l'entreprise cotise bien au régime de protection sociale agricole , rappelle un conseiller. Il ne faut pas hésiter à demander un justificatif : soit une attestation d'affiliation de moins d'un an, délivrée par la MSA, soit le bordereau d'appel des cotisations sur salaire, où sont portés les noms des salariés déclarés. ' A défaut de cette preuve, et si l'entrepreneur n'est pas en règle avec la législation sociale, c'est contre le donneur d'ordre que se retourneront les pouvoirs publics et la MSA.
De la même manière, et pour se prémunir d'un éventuel risque de travail illégal au sein de l'entreprise sous-traitante, l'exploitant doit prendre deux autres précautions, rappelées par l'article R 324-4 du code du travail. En premier lieu, il doit demander à son cocontractant un extrait de l'inscription au registre du commerce (K ou K bis). A défaut, un devis en bonne et due forme, sur lequel figure le numéro d'immatriculation au RCS, peut faire l'affaire. En second lieu, le vigneron doit demander une attestation sur l'honneur de son cocontractant, certifiant que le travail sera réalisé avec des salariés employés régulièrement.
' Si l'exploitant ne peut pas fournir ces documents et qu'il y a ultérieurement des problèmes avec l'entreprise de travaux agricoles, sa responsabilité financière peut être engagée. Cela signifie que si le prestataire de service n'a pas versé la taxe professionnelle ou les salaires, ce sera à l'exploitant de les payer ', explique Joseph Gauttier, de l'inspection du travail de Draguignan (Var).
Les contrôles de l'administration vont plus loin que la simple vérification du bon respect de ces formalités. ' On vérifie s'il n'y a pas de salariat déguisé ', poursuit Michel Saint Pau, de la MSA de Bordeaux (Gironde).

A ce titre, l'inspection du travail s'assure que l'entreprise de travaux agricoles justifie bien d'une pluralité de clientèle, car ' on ne peut pas parler de travail indépendant lorsque l'on a un seul client '. De la même manière, elle analyse les facturations. Celles-ci doivent couvrir les charges de fonctionnement, les investissements... Bref, permettre à l'entreprise d'être économiquement viable. Toute facture nettement en dessous du cours du marché laisse planer un doute sur la réalité de la prestation de service.
Autre fraude en ligne de mire en période de pénurie de main-d'oeuvre : la mise à disposition uniquement des salariés du prestataire de service. Dans ce cas, ces derniers arrivent sur le domaine sans aucun outil. ' L'exploitant dispose du personnel dont il a besoin, l'encadre et lui fournit le matériel. Si tel est le cas, l'entreprise de travaux agricole remplit les fonctions d'une entreprise de travail temporaire sans en posséder le statut, c'est-à-dire sans avoir les garanties financières et sans en assumer les charges spécifiques liées aux salaires (versement de prime de précarité, grille de salaire particulière) ', explique un contrôleur du Sud-Ouest. Ce prêt de main-d'oeuvre à but lucratif est interdit par l'article L. 125-3 du code du travail. L'exploitant peut être assigné auprès des tribunaux qui pourront le reconnaître pénalement responsable.
Dans les faits, les experts reconnaissent que la requalification en salariat est rare. Il faut plusieurs arguments pour emporter la conviction des magistrats : un seul donneur d'ordre, l'absence de mise à disposition de matériel, des éléments qui montrent que c'est l'exploitant et non l'entrepreneur qui dirigeait les salariés... En revanche, une chose est sûre, ce type de procédure risque de se développer vu l'écart grandissant entre la condition des salariés, de plus en plus protégés, et celle des prestataires de services quasiment ' taillables et corvéables à merci '.




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