Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 2003

Des auditeurs débarquent chez le vigneron

La vigne - n°142 - avril 2003 - page 0

Très en vogue dans les mondes de la finance et de l'industrie, les audits font leur apparition chez les producteurs de vin. Leur succès dépend de la façon dont ils sont mis en place.

Les uns parlent de diagnostic d'entreprise, les autres d'audit ou de bilan d'évaluation. Il reste que l'objectif est à chaque fois le même : demander à une personne extérieure de procéder à un état des lieux des moyens et des méthodes de travail utilisés par une exploitation pour comprendre ses forces et ses faiblesses. Les démarches d'audits concernent depuis longtemps le monde de la finance (audit de cession, d'acquisition...) et celui de l'industrie (audit de conformité vis-à-vis d'un process...).
Leur application dans la production viticole est récente. Elle traduit une nouvelle approche du métier, qu'il n'est pas toujours facile de faire passer sur le terrain. ' Jusqu'à présent, le chef d'exploitation était le 'seul maître à bord' , note un responsable syndical. C'est lui qui savait comment procéder sur son vignoble. ' Aujourd'hui, les portes d'un domaine doivent être ouvertes. Sur le principe, tout le monde est d'accord. Reste qu'entre transparence et invasion, il n'y a qu'un pas que beaucoup estiment franchi. ' La démarche d'audit est rarement bien accueillie ', confirme un consultant.
En Gironde, le syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs a passé une convention, en 1996, avec la chambre d'agriculture pour qu'un bilan technique soit proposé aux vignerons refusés à l'agrément ou mis à l'index par la commission de contrôle des conditions de production.
' Sur toutes les lettres envoyées depuis la mise en place de l'opération, seule une dizaine d'exploitations a accepté de recevoir le technicien ', relève Damien Le Grelle, responsable technique du syndicat. Pourtant, le coût de l'audit (autour de 750 euros par intervention pour deux journées de travail) est supporté par le syndicat.
Pourquoi un tel désintérêt ? Les responsables remarquent que les difficultés économiques ont pour corollaire une baisse de la motivation. ' C'est le cercle vicieux. Le recalage à l'agrément entraîne une perte financière. Le manque de moyen empêche d'investir. Et l'absence d'investissement, tant matériel qu'humain, aboutit à une baisse de la qualité... ', explique-t-on.
En Bourgogne, le ' contrat qualité + ', mis en place par l'interprofession et un comité de pilotage (1), est un peu différent.

Dans un premier temps, 400 exploitations en difficulté se verront proposer la réalisation d'un diagnostic d'exploitation par un technicien. Ensuite, en fonction des résultats de l'audit, une phase d'accompagnement sera mise en place. Cette seconde étape comprendra des aides en rapport avec l'origine des problèmes : négociation de reports de créances et d'échéanciers, conseils personnalisés auprès des chefs d'exploitation, formation adaptée aux besoins des responsables, aides à l'investissement matériel sous forme de prêts bonifiés... Le budget consacré à la phase de diagnostic est de 440 000 euros, apportés par la profession avec le soutien des partenaires publics (Etat et Région).
Pour le moment, des audits à titre expérimental sont réalisés sur une dizaine d'exploitations. Là encore, les audités qui ont bien voulu témoigner sont sceptiques sur l'intérêt de la démarche. ' Personnellement, j'ai joué le jeu et répondu à toutes les questions du technicien. Nous avons fait le point sur mes pratiques de taille, de viticulture raisonnée, d'enherbement... Nous sommes allés sur le terrain. Le tout a pris une demi-journée. Au final, je n'attends aucune révélation. Je sais que je travaille bien. Mes problèmes de trésorerie sont dûs à un retournement de tendance sur le marché. J'ai eu la malchance d'investir au mauvais moment... ', explique ce vigneron de Saône-et-Loire.
L'état d'esprit dans lequel le vigneron aborde l'audit est essentiel. ' Pour que la démarche soit bien accueillie, il faut que l'audité ne se sente pas mis à l'index ', explique Mylène Doux, technicienne du syndicat de Cahors. Ce vignoble a mis en place, fin 2000, une stratégie originale qui semble porter ses fruits : aujourd'hui, la quasi-totalité des exploitations, soit plus de 440 vignerons, a demandé un diagnostic d'entreprise. Au lieu de cibler les entreprises à la traîne, la démarche a été proposée à l'ensemble de la production. Cette approche globale fait toute la différence.
' Aujourd'hui, nous sommes rentrés dans la deuxième phase. Je visite les domaines pour voir comment se passe leur plan de développement ', poursuit la jeune femme. Alors que la première phase relève de l'oscultation, avec un passage au crible des aspects de l'exploitation (stratégie commerciale, état du matériel et du vignoble, capacité d'investissement...), la seconde étape consiste à assurer le suivi des mesures préconisées dans le ' plan de développement '. L'auditeur y liste les axes prioritaires, en partant du plus urgent (sécurité du travail et qualité des vins...) pour aller vers l'accessoire (esthétique du caveau...).

Un premier bilan de la démarche de Cahors montre un gros effort en terme d'investissement matériel. ' Plus d'une exploitation sur deux a investi, soit au chai, soit à la vigne ', constate Mylène Doux. En tête des achats : les érafloirs et les installations de maîtrise des températures. On note aussi l'acquisition de machines à vendanger et le développement de parcs de barriques. Une chose est sûre : ces dépenses ont été facilitées par la stabilité des cours du cahors sur les trois derniers millésimes.
Au-delà de ces aspects matériels, la responsable relève un important changement dans les rapports humains entre les vignerons et les techniciens. ' On a appris à bien se connaître. Cela facilite les échanges. Aujourd'hui, on nous appelle plus facilement pour nous demander un conseil. Au final, l'information passe mieux et les façons de travailler progressent : les épamprages sont propres et les vignerons ébourgeonnent à la taille ', déclare-t-elle.
En Anjou, les responsables syndicaux partagent l'analyse des techniciens de Cahors. A savoir : pour qu'un audit porte ses fruits, il faut qu'il soit bien accueilli. Or, dès lors que l'on pointe du doigt l'audité en tant que ' mauvais élève ', on est sûr de le braquer. En 1994, la Fédération viticole avait proposé un diagnostic technique aux caves productrices de rosés, recalées à l'agrément. La démarche avait eu peu de succès. Cette année, l'organisation a proposé un audit à 90 caves particulières produisant des blancs, sans considération des résultats à la dégustation d'agrément. Plus des deux tiers ont répondu favorablement. Les informations recueillies lors des visites vont permettre de mieux cibler les conseils à dispenser pour faire progresser la qualité globale.

(1) Ce comité de pilotage comprend la Confédération des associations viticoles de Bourgogne, la Fédération du négoce éleveur de Bourgogne, les chambres d'agriculture, la Direction régionale de l'agriculture, les conseils généraux et le Conseil régional.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :