Nombre de vignerons créent une activité de négoce. Comment distinguent-ils leurs vins de propriété et de négoce ? En jouant la synergie ou la différence ? Tour d'horizon.
C'est un véritable paradoxe. Alors que certains vins ne trouvent pas d'acheteurs, de nombreux vignerons prennent une carte de négociant pour étendre leur offre, signe évident que leurs affaires fonctionnent bien. Comment présentent-ils leurs gammes à leurs clients ? Jouent-ils la synergie entre les vins de propriété et les vins de négoce en signant de leur nom ou, au contraire, poussent-ils à l'extrême une stratégie de différenciation ? Les options sont très variées.
Mais ces vignerons devenus négociants sont unanimes : tous affirment qu'ils sont avant tout vigneron ; tous souffrent de l'image difficile du négoce en France.
Sur leur gamme négoce, certains mettent en avant leur ' savoir-faire ' ou leur ' expertise '. En clair, leurs bouteilles sont signées. Le vigneron capitalise sur son nom, le faisant apparaître de manière plus ou moins frappante, comme une marque. D'autres, au contraire, vont le masquer au maximum, comme si le négoce était un peu honteux, comme s'il fallait cacher que l'on exerce également cette activité. Ils mettent en avant un étiquetage similaire pour les deux familles de vins, seules les mentions légales diffèrent.
Et puis, il y a les vignerons qui n'hésitent pas à entretenir le flou. Leurs bouteilles sont coiffées d'une capsule négociant, alors que l'étiquette arbore un nom de domaine.
' Le monde change, on ne vend plus de la même façon ', explique Laurent de Bosredon, à Pomport, en Dordogne. Sous l'impulsion du Nouveau Monde, la notion de marque devient un signe de reconnaissance pour le consommateur. Ce vigneron l'a intégrée. Il a fondé un négoce, voilà une dizaine d'années, qui commercialise 750 000 bouteilles destinées à l'exportation, vendues entre 2 et 25 euros. Il distingue parfaitement les vins de son domaine de ceux de son négoce. Depuis quatre ans, il a engagé une réflexion sur sa stratégie de marque. Elle a abouti à la mise en place de trois gammes bien différenciées.
' On s'affirme comme un spécialiste des appellations du coin et on emmène le client en promenade dans les régions qu'il ne connaît pas : l'Aquitaine et le Sud-Ouest, hors Bordeaux , explique Laurent de Bosredon. L'idée est de dire : 'Je suis un expert. Le guide Bosredon vous présente Bergerac, Montravel... ' ' Son nom apparaît sur un bandeau rouge, en gros, sur ses appellations génériques, à la façon du Nouveau Monde. Elles constituent sa première gamme. Pour la deuxième gamme, le guide, qui contribue à l'assemblage, cosigne le vin avec un producteur. ' Bosredon ' est toujours mis en évidence, mais sur un bandeau bleu, avec le nom du domaine du producteur figurant sur l'étiquette.
Dernier cas de figure : le château du vigneron est clairement mis en avant, la marque Bosredon n'apparaît plus. Il est distributeur.
Sur ces trois gammes, la contre-étiquette parle de Laurent de Bosredon. En revanche, sur ses propres vins, il s'efface, laissant apparaître uniquement le nom de sa propriété : Château Bélingard (90 ha, 500 000 bouteilles). ' De la même façon que tout le monde connaît Château Margaux, sans pour autant connaître le vigneron. C'est le côté patrimonial et familial. C'est élever l'étendard de la propriété dont le nom restera, alors que le mien, qui pourrait être 'Tartampion', disparaîtra ', dit-il un brin lyrique.
Dans les Côtes du Rhône, Yves Cuilleron, Pierre Gaillard et François Villard, trois vignerons de la Loire, ont créé ' Les vins de Vienne ', un négoce voué à élaborer de petits volumes de vins haut de gamme, 200 000 bouteilles pour un chiffre d'affaires de 1,5 million d'euros. Les vins d'appellation générique portent simplement le nom de l'appellation. Les autres ont un nom de cuvée, inspiré de termes du patois local. Exemples ? Les essartailles (travaux de piochage de la vigne), les pimpignoles (les coccinelles), la tine (une pièce de charrue).
Ces trois pointures du nord du Rhône, qui sont quasiment en rupture de stock sur leurs exploitations respectives, doivent se donner un peu plus de mal pour établir la marque négoce. Ce n'est pas gagné. Pourtant, leurs trois noms apparaissent sur l'étiquette en petit. ' Nous revendiquons le volet négociant, explique Yves Cuilleron, une activité totalement différente de celle de nos domaines. Mais il est nécessaire de l'expliquer aux clients, de démontrer que ce métier comprend un vrai travail de recherche, d'assemblage et d'élevage des vins. ' Là encore, les trois quarts des vins sont destinés à l'export où ' la dénomination de négociant a moins d'importance ', explique-t-il.
Même constat pour Jean-Marc Brocard, installé à Préhy, dans le Chablisien. ' A l'exportation, les importateurs goûtent le vin et le choisissent ou non, peu importe qu'il soit d'un négociant ou d'un vigneron ', affirme-t-il. A la tête de 100 ha de vigne, il commercialise 2,25 millions de cols d'une vingtaine d'appellations, dont les deux tiers sont produits en négoce. Il a capitalisé sur son nom, ' son savoir-faire ', dit-il. La marque Jean-Marc Brocard est systématiquement mise en avant pour tous les vins à l'aide d'une étiquette qui encercle la bouteille.
A Morgon, dans le Beaujolais, Dominique Piron vinifie l'équivalent de 80 ha, dont 17 ha de son propre domaine. Ses étiquettes ont un look identique. Il capitalise également sur son nom, mais il a choisi le plus petit dénominateur. ' Je fais profil bas, explique-t-il. Tous mes vins portent la mention 'vinifié et embouteillé par Dominique Piron', avec une capsule congé de négociant. J'ai supprimé la mention 'mis en bouteille à la propriété'. ' Les vins du domaine arborent simplement l'étiquette ' Domaine de la Chanaise '.
En revanche, à Roquetaillade, dans l'Aude, Jean-Louis Denois conserve la nuance. Sa marque de négoce ' Les vins rares ', vendue entre 5 et 8 euros, affiche la mention ' vinifié, élevé par J.-L. Denois, négociant éleveur à Roquetaillade '. Elle met en avant les cépages (l'intégralité de la production est réalisée en vins de pays d'Oc).
En 2003, il la complètera par une cuvée collection, 1 000 ou 2 000 bouteilles haut de gamme, commercialisées au moins à 15 euros. Les vins du domaine de 8 ha sont commercialisés au tarif de 11 à 14 euros TTC avec la mention ' produit, récolté, vinifié et mis en bouteille par JLD, vigneron-récoltant '. Ils portent tous des noms comme Chloé, La Rivière, Sainte-Marie.