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Le scandale de l'assurance risque fiscal

La vigne - n°143 - mai 2003 - page 0

99 % des assurances décès des prêts professionnels sont souscrites en nommant la banque comme bénéficiaire du capital remboursé. C'est une hérésie fiscale dont les conséquences peuvent être graves.

Lors de la souscription d'un prêt bancaire professionnel, il est fortement conseillé d'y adjoindre une assurance décès. Elle permettra le remboursement anticipé du montant restant dû en cas de disparition du signataire. Facultative, cette assurance est souvent exigée par le banquier. Reste à savoir qui sera le bénéficiaire du remboursement anticipé du prêt...
Sur ce sujet, les banques ne brillent pas par une attitude claire et transparente. Dans les contrats d'assurance proposés, elles se proclament d'office bénéficiaires du capital, comme si cette démarche allait de soi. L'emprunteur n'est pas obligé de désigner la banque, mais le manque d'information et une présentation habile font que ce dernier ne s'interroge pas assez. Or, pour le conjoint survivant, l'enjeu est important. En effet, le remboursement anticipé d'un prêt professionnel génère un revenu exceptionnel. Conséquence : le montant des impôts s'envole et l'actif successoral est augmenté.
Prenons le cas d'un vigneron assujetti au régime du bénéfice réel, dont l'épouse ne travaille pas sur l'exploitation. Son revenu professionnel annuel s'élève, en moyenne, à 46 000 euros. Il a emprunté 300 000 euros en matériel, le prêt étant couvert par une assurance décès, avec la banque comme bénéficiaire. Le vigneron décède, alors qu'il lui reste 200 000 euros à rembourser, montant que la compagnie d'assurance verse à la banque. Les bénéfices imposables de l'exploitation s'élèvent alors à 46 000 euros + 200 000 euros, soit 246 000 euros. Cette brusque inflation du revenu imposable va générer un supplément d'impôt de 60 % (50 % d'impôts et 10 % de CSG et CRDS), soit 120 000 euros ! Même si l'épouse du vigneron peut en étaler le paiement sur cinq années, la note reste salée.

De plus, l'augmentation du revenu de l'exploitation va accroître l'actif successoral de l'entreprise et, par ricochet, les droits successoraux. A tous les niveaux, le bilan est lourd pour les héritiers. Pour couvrir ce risque, les banques proposent aux professionnels d'opter pour une assurance risque fiscal. En fait, il s'agit de souscrire une assurance décès individuelle pour percevoir un capital déterminé, destiné à payer le supplément d'impôts. Concrètement, le vigneron assure son prêt à 150 %, dont 100 % pour le remboursement anticipé et 50 % pour le surplus d'impôt.
Pourtant, il existe un moyen simple, mais peu connu, d'échapper à cette formule désavantageuse : désigner son conjoint ou ses enfants comme bénéficiaires du remboursement anticipé du prêt, et non plus la banque. Dans ce cas, l'assureur rembourse l'épouse qui, à son tour, rembourse la banque, et la dette est maintenue au passif du bilan. Les impôts, les contributions sociales et l'actif successoral ne seront donc pas dopés. Pour que la banque accepte de ne pas être bénéficiaire du remboursement anticipé, il faut lui proposer que le bénéficiaire signe une lettre d'engagement, stipulant qu'il remboursera intégralement le montant restant dû à la banque (voir exemple ci-contre). De même, ' il est possible de verser les fonds à un notaire qui, par sa qualité de séquestre, remboursera la banque , précise Régis Thibaud, expert-comptable spécialisé en viticulture, à Nîmes (Gard). Il est aussi à noter que les cotisations de l'assurance décès sont déductibles fiscalement, selon l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 10 juillet 1992. Mais dans les faits, je déconseille à mes clients de les déduire pour ne pas froisser le fisc. '

Face à cette avalanche d'arguments contraires, pourquoi la banque reste-t-elle désignée comme bénéficiaire de l'assurance décès dans 99 % des cas ? La première raison est d'ordre culturel. Envers son banquier, la profession agricole fait rarement preuve d'une exigence aussi affûtée qu'envers un fournisseur de matériel ou de produits phytosanitaires, par manque de compétence fiscale, mais aussi par peur. ' Il faudrait que les centres de gestion jouent pleinement leurs rôles et alertent les vignerons sur cette pratique, que je n'hésite pas à qualifier de malhonnête : elle consiste à faire payer une assurance inutile pour le seul confort des banques , estime un ancien banquier. Lorsque j'étais encore en activité, les rares fois où l'on m'a interrogé à ce sujet, je répondais que ce n'était pas possible juridiquement et la discussion s'arrêtait là. Je profitais de l'ignorance de mes interlocuteurs pour me border au maximum. Or, pour un vigneron, il est bien plus im- portant de négocier le bénéficiaire de l'assurance décès que le coût des frais de dossier ou 0,10 % de rabais sur son taux. Les banques s'honoreraient à réviser leur fonctionnement. L'argent investi à mauvais escient dans l'assurance risque fiscal pourrait être orienté vers d'autres placements. '

Jean-Marc Lemaire, conseiller en assurances à la Financière Saint-Jean, à Reims (Marne), poursuit dans ce sens : ' De nombreux exploitants ne savent pas qu'ils peuvent souscrire une assurance décès auprès d'un autre assureur que celui proposé par leur banque. Alors, de là à penser à désigner un autre bénéficiaire que le banquier... En fait, tout est une question de pouvoir. Il y a une vingtaine d'années, les pharmaciens ont fait pression sur les banquiers pour qu'ils acceptent d'accorder des prêts dont ils ne seraient pas les bénéficiaires de l'assurance décès. L'un d'entre eux a fini par céder et tous se sont alignés. Pour les agriculteurs, les banques acceptent au cas par cas, dans une grande discrétion pour ne pas créer de précédent. ' Il faudrait donc qu'ils se mobilisent sur cette question. La profession agricole est suffisamment organisée et soudée pour parvenir à ses fins, surtout quand elles sont aussi légitimes.

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