Les caisses d'assurance maladie observent une augmentation des arrêts de travail, notamment chez les salariés les plus âgés. L'usure physique explique, en grande partie, cette situation. Le souhait de s'octroyer soi-même sa pré- retraite contribue aussi à cette inflation.
Il se passe rarement un trimestre sans que le ministère de la Santé annonce une croissance des dépenses maladie. Celles-ci ont ainsi progressé de 14,1 % pour le régime des salariés du privé entre 2001 et 2002. Même si ces statistiques s'entendent hors secteur agricole, les spécialistes du ministère de la Santé estiment que la tendance est transposable à notre secteur. Le vieillissement de la population française explique largement cette explosion.
Mais les sociologues sont de plus en plus nombreux à évoquer une autre cause, celle d'un changement dans la relation au travail lié, entre autres, à la mise en place des 35 heures. Selon une étude sur les valeurs des Européens - menée en 1999 et publiée dans Futuribles - 66 % des Français souhaitent accorder moins d'importance au travail, une proportion bien supérieure à celle des autres pays de l'Union.
Dans ce contexte, les salariés du monde agricole qui travaillent dans des conditions difficiles - leur espérance de vie est la plus courte en France - ont souvent le sentiment d'être défavorisés par rapport à ceux du privé ou du public. De plus, excepté dans quelques régions, les conventions collectives des salariés agricoles sont moins avantageuses que celles appliquées dans certains secteurs d'activité.
' Ce décalage induit de plus en plus de désinvolture , témoigne un vigneron du Beaujolais. Travailler physiquement n'est plus acceptable. Il suffit de voir les difficultés des secteurs du bâtiment et de la restauration pour recruter du personnel. Pour les salariés permanents, le détachement par rapport à leur travail s'exprime par des recours plus fréquents aux arrêts maladie. Je ne dis pas qu'ils sont tous injustifiés, mais certains sont douteux. '
En 1999, 3,43 millions de journées d'arrêts maladie ont été comptabilisées par la MSA. Nous ne disposons pas de chiffres plus récents, mais notre enquête auprès des caisses des départements à forte orientation viticole montre une nette recrudescence. La tendance est la même dans les autres secteurs. Ainsi, pour les salariés du privé (hors secteur agricole), les arrêts maladie dépassant les trois mois chez les plus de 55 ans ont progressé de 24 % entre 2000 et 2002, alors que cette population n'a augmenté que de 13 %.
Le durcissement des conditions d'accès à la préretraite semble avoir favorisé cette recrudescence. ' Il ne faut pas se voiler la face, confie un avocat spécialisé dans le droit du travail, dans le Vaucluse. Une partie non négligeable des salariés viticoles de plus de 53 ans se font leur préretraite eux-mêmes grâce aux arrêts maladie, avec la complicité des médecins. Ils ont un sentiment de légitimité en voyant leurs voisins gendarmes, militaires ou agents de la SNCF partir à la retraite très tôt. Pourquoi devraient-ils continuer de travailler alors qu'ils font un travail pénible et que certains d'entre eux ont déjà atteint quarante années de cotisations ? Les inégalités d'accès à la retraite entre les secteurs privé et public sont mal vécues par cette catégorie socio-professionnelle. '
Bien sûr, il y a des contrôles, mais ils semblent trop limités pour être efficaces. Cette critique irrite certains cadres de la MSA : ils estiment que ce sont surtout les contrôles sur le travail dissimulé qui devraient être augmentés...
Si le salarié n'est pas présent à son domicile lors du passage du contrôleur, il doit justifier son absence pour ne pas avoir d'avertissement. S'il reçoit un second avertissement dans les deux ans, il ne perçoit plus ses indemnités journalières. Aux yeux des employeurs, ce système laisse une marge de manoeuvre assez élevée aux employés en arrêt maladie de complaisance. D'autant que si un huissier constate qu'un salarié en arrêt travaille au noir, ce constat ne pourra pas être utilisé comme motif de licenciement. ' Une faute sur le plan médical entraîne la privation des indemnités journalières , confirme un inspecteur du travail. Mais elle n'est pas valable pour un licenciement. Il existe une sorte d'immunité quand on est en arrêt maladie. '
Les procédures à observer lors d'un arrêt maladie sont précisées dans les conventions collectives. Le salarié doit prévenir son employeur dans les 48 heures, par téléphone ou par l'envoi du certificat médical. S'il ne le fait pas, il ne peut pas être considéré comme démissionnaire, car une démission doit être clairement exprimée. Dans ce cas de figure, l'employeur doit envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception à son salarié absent, en lui demandant de reprendre le travail ou de justifier son arrêt. Si l'arrêt maladie dure 21 jours, l'employeur est dans l'obligation de solliciter une visite médicale au médecin du travail, dans un délai maximal de 8 jours après la reprise. Pendant l'arrêt, le salaire est maintenu à hauteur de 85 %, avec une carence de 3 jours et dans la limite de 150 jours.
Si l'arrêt se prolonge (il n'existe pas de limite dans la reconduction d'un arrêt maladie), la loi autorise un employeur à rompre le contrat de travail sous réserve de répondre à trois critères.
Tout d'abord, l'absence doit être continue pendant six mois minimum pour les entreprises employant au maximum quatre salariés permanents, et pendant un an pour un effectif de cinq salariés et plus. Si l'employé a repris le travail à cinq mois et trois semaines, ne serait-ce qu'un jour, pour être de nouveau en arrêt maladie, la rupture du contrat ne peut avoir lieu. Le deuxième point concerne la justification de la perturbation du travail liée à cette longue absence. Si l'effectif de l'exploitation est limité, il est reconnu que l'absence de 50 % ou de 33 % de la masse salariale gêne le travail. La dernière exigence consiste à embaucher un nouvel employé en CDI pour remplacer la personne malade, afin de prouver que la perturbation était réelle.
Si le licenciement n'est pas envisagé, la garantie d'incapacité de travail (GIT) est versée au salarié au-delà des 150 jours d'arrêt. Dans le cas d'un arrêt dépassant les six mois, il arrive que le médecin de la MSA juge le salarié inapte au travail. Dès lors, l'employeur est obligé de lui proposer un autre travail, en fonction des ses aptitudes physiques, ce qui est assez délicat en viticulture. Si le reclassement n'est pas possible, le vigneron doit alors licencier son salarié, avec des indemnités. Le médecin du travail peut aussi se prononcer pour une invalidité permanente : le salarié sera alors pris en charge par la MSA.
Cette dernière ne nous a pas communiqué le nombre de salariés en incapacité et en invalidité. Mais de nombreux vignerons ont le sentiment que les médecins du travail sont plus prompts, pour des raisons budgétaires, à se prononcer pour l'inaptitude plutôt que pour l'invalidité...