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On peut frauder sans le savoir

La vigne - n°149 - décembre 2003 - page 0

Un vigneron a fait casser la vente d'un moût concentré rectifié, car il contenait du sucre de betteraves. Le produit venait d'Espagne et son importateur ne s'était pas assuré de sa conformité. Cette négligence lui a valu d'être condamné.

Dans cette affaire, une société importe des moûts concentrés rectifiés (MCR) pour satisfaire à la demande de viticulteurs français. Pour une question de prix probablement, la société s'adresse à des entreprises espagnoles. Ayant eu connaissance de l'origine des MCR, les Fraudes attire l'attention de la société importatrice sur les risques de falsification. Comme rien ne vient confirmer la suspicion des Fraudes, elle poursuit ses relations commerciales avec son fournisseur espagnol, basé en Catalogne.

Pour répondre à la demande d'un exploitant du Languedoc, la société française passe une nouvelle commande. Les camions citernes amènent la marchandise dans les chais de l'importateur français. Conformément aux exigences de la profession, le gérant de la société, avant toute livraison à son client, demande à un laboratoire d'analyser le moût importé. Les résultats n'indiquent aucune anomalie. La marchandise est donc transportée chez l'acheteur. Avant de l'utiliser, ce viticulteur, également alerté par le service des Fraudes, fait procéder à une analyse par résonance magnétique nucléaire (RMN). Les résultats sont sans appel : le moût contient du sucre de betteraves, ajout formellement condamné par la réglementation européenne. Il y a donc vice caché et l'action en garantie entamée par l'acheteur aboutit à l'annulation de la vente. Mais la société importatrice n'est pas au bout de ses peines... Informées, les Fraudes, s'appuyant sur les articles L 213-1 à 4 du code de la consommation, déposent une plainte pour tromperie sur la qualité d'une marchandise, détention et vente de produits falsifiés.
Après une relaxe par le tribunal correctionnel, le gérant de la société se retrouve condamné par la cour d'appel. Il se pourvoit en cassation.
C'est là que les principes vont être posés. Les juges d'appel ont retenu que la société était bien responsable de la première mise en marché nationale. En cette qualité, elle aurait dû vérifier si le produit était conforme aux normes en vigueur et procéder elle-même aux vérifications sans se reposer sur la responsabilité de son fournisseur. Selon les juges, la société importatrice avait l'obligation de faire ces vérifications par tous les moyens disponibles, y compris ceux non obligatoires. Sachant que la seule méthode efficace pour détecter l'ajout de sucre de betteraves est la RMN, elle aurait dû l'employer. La cour d'appel a ajouté que le service des Fraudes avait attiré l'attention du gérant sur certaines pratiques espagnoles...

Devant la Cour de cassation, le prévenu a fait valoir l'absence d'intention coupable. Il a argué qu'il avait fait procéder aux analyses habituelles et que la méthode de la RMN n'était pas obligatoire. Il a aussi soutenu que le délit de vente de produits falsifiés suppose la connaissance de la falsification. Or, les analyses effectuées par lui ne démontraient pas la présence du sucre de betteraves.
Les juges de la Cour suprême ont rejeté son pourvoi. Ils ont relevé que le prévenu aurait dû être d'autant plus vigilant qu'il avait été alerté par les services des Fraudes. Selon les magistrats, le gérant devait procéder aux vérifications nécessaires par tous les moyens mis à sa disposition, même non obligatoires, sachant que les analyses traditionnelles pratiquées étaient insuffisantes. Une affirmation riche de prolongements conclura la motivation de l'arrêt de rejet : ' La seule méthode utile de contrôle en vigueur au moment des faits était l'analyse par la RMN . '
La décision rendue s'inscrit dans une jurisprudence déjà établie. ' L'importateur doit contrôler que les marchandises importées sont conformes à la réglementation. En s'abstenant d'effectuer les vérifications nécessaires, il commet une négligence, ne lui permettant pas d'exciper de sa bonne foi ', indique l'arrêt du 30 octobre 1990 de la Cour de cassation.
On constate que la culpabilité pénale dépend de l'état des sciences et des techniques. Si la RMN n'avait pas existé, la condamnation aurait été impossible.

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