Les viticulteurs de trois communes alsaciennes se retrouvent le jour de la Saint-Jean d'hiver pour une messe de remerciement. Ils répondent à l'appel des pères rédemptoristes qui ont tiré cette célébration de l'oubli.
Dix heures sonnent à la cloche de la chapelle de l'Annonciation. Sur son parvis, le père Peter fait entonner un Ave Maria à la petite troupe colorée réunie là. Les viticulteurs de Turckheim, tout de bleu vêtus, portent sur leurs épaules la statue de leur saint patron Urbain. Leurs collègues de Niedermorschwihr sont venus en tablier, une hotte en bois sur le dos. Quant aux membres de la confrérie du Kaefferkopf d'Ammerschwihr, ils ont revêtu leur manteau et tricorne noirs bordés de rouge. Chaque groupe de viticulteurs véhicule ses bouteilles, qui dans une caisse à bras, qui dans une carriole. Tout en chantant, une procession s'organise pour grimper la petite montée raide qui rejoint l'église Notre-Dame des Trois Epis. A l'intérieur, l'autel est décoré de ceps et de grappes. Hottes, tonnelets et bouteilles sont déposés en offrande sur les marches du choeur. Durant la messe, un chant de méditation se réfère au ' beau vignoble si riche en beaux raisins et en grappes nobles '. Les noces de Cana, où Jésus transforma l'eau en vin, tiennent lieu d'Evangile.
Puis, le père Peter bénit les vendangeurs, leurs enfants et leurs vins. La confrérie d'Ammerschwihr enchaîne avec l'ode au Kaefferkopf. Au moment de la communion, des gewurztraminers des trois villages sont versés dans le calice pour devenir le vin de cet office. Personne ne sait au juste à quand remonte la tradition de la bénédiction des vins à l'église. Les plus anciens se souviennent qu'elle a toujours eu lieu, dans chaque paroisse, le 27 décembre, fête de Saint-Jean l'Evangéliste. Un jour, cet apôtre, rapporteur des noces de Cana, bénissant un vin empoisonné qui lui était destiné, en fit sortir un serpent.
Autrefois, après avoir fait bénir ses vins, chacun les ramenait dans sa cave pour en verser quelques gouttes dans chacun de ses fûts. Au fil des ans, cette messe et ces gestes se sont perdus. En 1994, la Communauté des pères rédemptoristes, installée au couvent des Trois Epis, a relancé l'office. Du haut de ses 730 m d'altitude, ce lieu de pèlerinage offre un panorama superbe sur la plaine d'Alsace et Colmar. ' Administré par trois communes viticoles que sont Ammerschwihr, Niedermorschwihr et Turckheim, situées à ses pieds, l'endroit s'imposait comme point de rencontre ', relève le père Peter. Depuis, chaque viticulteur participant offre trois bouteilles. Après l'office, elles sont débouchées pour le verre de l'amitié.
' Alors qu'une année se termine et qu'une autre va commencer, la bénédiction des vins est à la fois un remerciement pour le dernier millésime et l'espoir d'une belle récolte future ', rappelle Pierre Dreyer, vigneron indépendant à Ammerschwihr. ' La participation des viticulteurs va de soi. Le respect de la tradition l'emporte. Il n'y a aucun but commercial ', poursuit Benoît Schlussel, coopérateur à Turckheim.
Au fil des ans, la notoriété de l'office a dépassé les trois communes. ' Des habitués de la messe de la Saint-Jean viennent d'autres villages de la route des vins ', confesse le père Peter. A croire l'un ou l'autre représentant de syndicats viticoles présents aux Trois Epis, le 27 décembre 2003, il ne leur déplairait pas d'être invités à rejoindre les trois communes d'origine...