Dans une région dédiée aux blancs, Christian Dugon a parié sur les vins rouges. Il a planté de nouveaux cépages, sélectionnés en Suisse pour l'intensité de leur couleur. Avec succès.
'Il faut vraiment être mordu pour faire ce métier ', déclare Christian Dugon, vigneron encaveur du domaine de la Grande Ouche, à Bofflens (Suisse), dans le canton de Vaud. Et mordu, il l'est sans aucun doute. En 1982, il s'installe dans cette région du Jura suisse, en retrait des lieux touristiques que sont les lacs Léman et de Neuchâtel. Il débute sur 2,5 ha, dont 1,5 ha que son père, employé de La Poste, a cultivé toute sa vie en livrant la récolte à une cave coopérative. ' La transmission en Suisse est plus facile qu'en France, relève Christian. L'exploitation est reprise sur la valeur du rendement, et non sur la valeur vénale du terrain, à la condition que le bien soit conservé au moins vingt-cinq ans. '
Il s'agrandit au fil des ans, gagnant une parcelle par-ci, une autre par-là, le tout dans un rayon de 10 km pour atteindre 5,5 ha en 1996. Toute la production est en appellation Côtes de l'Orbe. Dans le canton de Vaud où le domaine se trouve, le chasselas domine. A l'inverse de ses confrères, Christian a d'emblée parié sur les vins rouges. ' Ils sont l'avenir de la consommation sur le plan mondial . ' Ils représentent aujourd'hui 70 % de sa production et onze cépages sur les dix-sept qu'il cultive.
Christian Dugon travaille avec son père Gilbert (76 ans), un stagiaire, son petit cousin Michaël et un salarié. A l'occasion d'un stage qu'il effectue à l'Ecole de viticulture de la Station fédérale de Changins, il fait la découverte du gamaret et du garanoir, deux nouveaux cépages sélectionnés par la station pour leur couleur. Séduit, en 1993, il en plante 1 000 m² de chaque, sur le même terroir, pour les comparer.
Deux médailles de bronze au Concours des chardonnays du monde, en 1995, puis en 1997, lui donnent un coup de pouce. Il vendange la première récolte de gamaret et garanoir en 1996. Les dégustateurs apprécient. A partir de 1997, ces vins sont régulièrement remarqués en Suisse, puis bien notés dans La Revue du vin de France en 2000, et cités dans le Guide Hachette depuis 2001. De fil en aiguille, des clients viennent au domaine, attirés par ces cépages qui ont contribué à booster les ventes.
Aujourd'hui, Christian cultive cinq nouveaux cépages sur 2 ha. Au vu du succès qu'il remporte, il a prévu d'exploiter, dès 2004, 1,5 ha supplémentaire de gamaret et garanoir. Chaque année, il achète la production de 1 ha : du gamaret, du garanoir (2,50 euros/kg) et du chasselas vieilles vignes. Dans le même temps, il revend l'équivalent de 1,5 ha de pinot noir au négoce (1,87 euros/kg).
Ses vins sont essentiellement commercialisés en Suisse francophone, aux particuliers et un peu en CHR. Son fichier clients compte 1 500 noms. Depuis 1990, il organise chaque année, fin novembre, un week-end portes ouvertes de trois jours.
La manifestation a acquis une petite notoriété. Cette année, elle a attiré près de 600 clients. Ils ont la possibilité de déguster l'intégralité de la gamme de dix-neuf vins (un par cépage et deux d'assemblage), une opération plus avantageuse que d'ouvrir dix-neuf bouteilles pour un seul client de passage. A cette occasion, christian écoule près de 8 000 cols.
En 2001, il participe à la création d'Arte Vitis, une association de douze viticulteurs destinée à contrecarrer la perte d'image du canton de Vaud. ' Nous avons voulu montrer que contrairement à ce qu'on lit dans la presse, les vignerons vaudois ne s'endorment pas sur leurs lauriers et qu'ils vont de l'avant. ' L'association communique auprès de la restauration haut de gamme. Elle édite une plaquette de présentation des douze vignerons et diffuse une caisse de douze bouteilles, une de chaque vigneron, estampillée Arte Vitis. Le coût pour Christian Dogon : 2 580 euros/an.
Côté viticulture, Christian conduit les nouveaux cépages de la même façon que les autres, et en production intégrée. Car, en Suisse, les aides aux viticulteurs (773 euros/ha/an) sont conditionnées au respect de l'environnement. Christian est en ' contrat ' avec une organisation régionale agréée, fédérée au sein de Vitiswiss, l'organisation nationale.
Chaque été, avant la vendange, il est contrôlé par deux viticulteurs, membres d'une autre organisation régionale. Il doit remplir un cahier d'exploitation et respecter un cahier des charges strict. Tous les quatre ans, son appareil de traitement est contrôlé. Il utilise les produits phytosanitaires autorisés en production intégrée. Il ne peut pas utiliser plus de 3 kg/ha/an de cuivre métal. Autre exemple : 3,5 % de la surface agricole utile doit être en surface de compensation écologique (haies, buissons, prairies extensives...).
A la cave, Christian encuve sans sulfiter, car la teneur maximale autorisée en SO 2 total est de 120 mg/l. ' J'envoie du gaz carbonique dans les cuves et je levure immédiatement. En général, je termine entre 80 et 90 mg/l en bouteille. ' Bien qu'il se plie à toutes ces contraintes, il ne porte pas le label production intégrée sur ses bouteilles, car il ne fonctionne pas. ' Les consommateurs sont déjà perdus, ce n'est pas la peine d'en rajouter ', estime-t-il.
L'exploitation en dates
1982 Installation sur 2,5 ha. Premières bouteilles
1988 Agrandissement de 1 ha
1990 Construction de la cave
1993 Plantation de gamaret et de garanoir
1996 Le domaine atteint 5,5 ha
1997 Début de la reconnaissance
2001 Création d'Arte vitis