Adoptés dans la précipitation en 2001, les textes qui régissent l'agrément des vins tranquilles d'appellation s'avèrent inapplicables et inappliqués actuellement. En fixant un seul moyen d'assurer la traçabilité, ils compliquent les procédures et les frais d'agrément s'envolent. Des aménagement sont attendus pour la prochaine campagne.
Le décret du 7 décembre 2001 et ses arrêtés d'application pour les vins tranquilles devaient fiabiliser l'agrément et redorer le blason des AOC, en instaurant une traçabilité. Les textes devaient écarter tout risque de substitution et d'assemblage. Pour cela, ils fixent un seul et unique moyen : la photo analytique. Si un producteur ne veut pas faire agréer l'ensemble de sa production en une seule fois - par exemple, si certains vins n'ont pas fini l'une des fermentations, ou présentent un mauvais goût, ou doivent être élevés plus longtemps... - il doit néanmoins les faire tous prélever et analyser avant la première présentation. Ensuite, quand les vins peuvent enfin être présentés, ils doivent être analysés à nouveau, afin d'assurer qu'il s'agit bien des mêmes vins. Si le nouveau décret avait été appliqué à la lettre, entre les prélèvements et les analyses, les frais d'agrément auraient explosé.
' Il aurait fallu aussi un réseau de laboratoires d'analyses suffisant pour faire face à cette multiplication de demandes ', proteste Olivier Sohler, responsable du centre de dégustation en Alsace. Dans cette région, rien que pour l'appellation Alsace, l'application du texte à la lettre imposerait la réalisation d'au moins 15 000 analyses, soit un surcoût de 150 000 euros ! L'appellation a donc adapté le texte dans son règlement intérieur, à compter de la campagne en cours.
Pour chaque cave, deux cépages sur les sept sont tirés au sort chaque année. Chaque cuve de ces cépages est prélevée, analysée et dégustée ; les cuves des autres cépages ne sont pas concernées, dans un premier temps. Si un échantillon est refusé deux fois de suite, la cave est prélevée, analysée et dégustée dans son intégralité. Les Alsaciens sont partis du principe qu'un vin recalé deux fois cachait souvent un chai à problèmes. Cet agrément par sondage est une façon de porter les efforts sur ceux qui travaillent moins bien.
En Bourgogne, la multitude d'appellations pose le même problème. L'Union des syndicats de Côte-d'Or y a remédié de façon radicale : ' Nous avons essayé de coller au mieux aux exigences du texte, annonce Damien Gachot, président. Nous prélevons tous les grands crus : un échantillon pour les deux couleurs pour les premiers crus et pour les communales ; puis un échantillon par 50 hl pour les appellations régionales. Quelle perte de vin ! Et pour un résultat très moyen, puisque le taux d'agrément est toujours de 99 %. '
Le fractionnement de la présentation des échantillons est la principale cause d'envolée des coûts, puisque la photo analytique doit, en principe, être réalisée à chaque fois. En Côtes du Rhône, une procédure est expérimentée à titre dérogatoire pour ces cas. ' Dans notre région, cela ne concerne que 50 % des caves ', tient à préciser Francis Fabre, directeur du Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône.
Mais pour cette moitié de producteurs, la multiplication des analyses était inacceptable. Pour pallier cette inflation des coûts, le syndicat a mis en place une dispense de cette photo analytique. En contrepartie, le producteur doit fournir une analyse de toute sa cave de moins de quinze jours, réalisée par un laboratoire agréé. ' La période d'agrément coïncide, en général, avec une époque où les responsables de cave procèdent à des analyses fréquentes. Donc, cette exigence est réalisable ', poursuit Francis Fabre. Dans les huit jours qui suivent le prélèvement, 5 % de ces caves sont tirées au sort, où l'Inao procède à un prélèvement complet.
Le prélèvement simultané pose d'autres problèmes quand les différentes appellations d'une cave ne sont pas gérées par le même organisme agréé. C'est le cas de la Vallée du Rhône, où côtes-du-ventoux et côtes-du-rhône peuvent coexister dans une cave, ou encore de la Provence (côtes-de-provence, coteaux-varois par exemple), du Languedoc (saint-chinian, coteaux-du-languedoc...)... L'organisation d'un prélèvement simultané peut alors devenir un vrai casse-tête. D'ailleurs, ' jusqu'en 2005, ce n'est pas obligatoire dans ces cas-là ', explique Philippe Doumenc, à l'Inao de Hyères, qui suit les travaux de la commission nationale ' agrément '.
Les dérogations et aménagements se multiplient. ' Le voeu était pieux, mais il est inapplicable, renchérit un responsable professionnel. Il faut être clair sur l'objectif : est-ce d'améliorer la qualité de l'ensemble des vins ou se contenter d'éliminer les mauvais vins ? ' ' Il faut peut-être aménager le texte actuel, reconnaît Philippe Doumenc. Nous y travaillons au sein de la commission nationale ' agrément '. Le texte a fixé un seul moyen d'assurer la traçabilité des vins : l'analyse. Les deux dernières campagnes ont servi de test et ont permis de voir les différentes possibilités proposées par les régions. '
Ces aménagements doivent être présentés au Comité national de l'Inao, au plus tard en mai 2004, afin de permettre leur entrée en application pour la prochaine campagne. ' L'ossature du texte ne changera pas, nuance Philippe Doumenc. Il s'agit plus de retouches en terme de formulation. L'objectif de traçabilité reste le même, mais il faudra laisser plus de champ aux régions pour définir les moyens pour y parvenir. ' L'arrêté d'application du décret du 7 décembre, concernant les examens analytique et organoleptique, sera donc aménagé ' pour permettre une application plus sereine '.
Parallèlement, mais à plus longue échéance, la commission réfléchit à une procédure d'agrément qui irait au-delà de la dégustation et de l'analyse. Elle intégrerait la totalité du processus d'élaboration, en partant quasiment de la parcelle nue.
' On pourrait délivrer des aptitudes à différents stades : aptitude de l'exploitation à élaborer de l'appellation, aptitude du vin à être commercialisé... Quand tout cela sera maîtrisé, pourquoi ne pas envisager un contrôle du produit par sondage. Mais cela implique d'abord une bonne maîtrise de l'amont . ' De tels schémas sont en expérimentation dans certaines régions (l'Anjou par exemple) et sont suivis attentivement par d'autres. La dégustation et l'analyse occupent alors une place secondaire dans l'agrément. Dans ce cas, c'est la maîtrise du processus dès l'amont qui peut rehausser le niveau qualitatif général, pas le simple refus des mauvais produits.
D'autres voudraient même pouvoir concentrer leurs efforts sur les ' mauvais ' producteurs, en procédant non plus par sondage, mais en les ciblant directement en fonction des résultats du suivi en aval de la qualité ou des dégustations antérieures. Une telle réflexion est en cours, notamment dans le Médoc.
' La dégustation et l'analyse systématique ont leurs défauts, admet Philippe Doumenc. C'est tout de même un moyen unique pour visualiser l'ensemble de la production chaque année. Cela permet parfois aux professionnels de remettre certains points en cause. Ce peut être une source de progrès. '