Les Anglo-Saxons ont imposé une grille de classement des vins qui repose uniquement sur le prix de vente à la consommation. Les opérateurs français ne peuvent plus l'ignorer.
L'Australie et les Etats-Unis ont attaqué le marché avec une vision nouvelle. Ils ont classé leur offre selon le prix, sur une échelle démarrant du basic, c'est-à-dire le tout venant, et finissant par les icons, les vins de luxe. Entre ces deux extrêmes, ils situent les premiums, catégorie qu'ils subdivisent en popular premium, premium, super premium et ultra premium. L'échelle des prix et leur correspondance avec ces dénominations diffèrent d'un pays à l'autre, selon la valorisation du marché. Ainsi, en Grande-Bretagne où les vins sont chers, on considère qu'en dessous de 2 £ (3 euros), on a affaire à des basics. En France, où les vins sont meilleur marché, les basics valent moins de 1,20 euros.
' Cette segmentation est reconnue et utilisée par tous les opérateurs du marché mondial aujourd'hui ', remarque Daniel Bonnabeau, consultant chez Ernst & Young. Elle est simple. Elle permet de comparer l'offre des différents pays en faisant abstraction de leurs propres classements. Les grands acheteurs peuvent ainsi lancer des appels d'offres, par exemple pour un chardonnay super premium, et considérer sur le même plan la proposition d'un Bourguignon et celle d'un Australien, alors que l'un vend un vin d'appellation communale et l'autre un vin de cépage.
En 2000, l'Onivins a commandé une étude à Ernst & Young pour situer l'offre française en vins tranquilles (1), selon cette grille internationale. Ce cabinet évalue à 11 Mhl notre production de basics. Ce sont tous les vins vendus à moins de 1,20 euros/col en grande surface : des vins de table ' non marketés ' et des vins de pays de département. Les régions qui fournissent ce segment sont le Gers et les Charentes en blanc, la Provence en rosé et le Languedoc en rouge. Aux 11 Mhl de basics directement destinés à la consommation, il faut ajouter 1,5 à 2 Mhl de vins de base pour les mousseux.
Entre 1,20 et 2,50 euros/col en grande surface, le segment popular premium pèse pour un tiers des volumes. Il représente 13,4 Mhl. Il est constitué de vins de pays, de vins de table de marque, d'AOC de faible notoriété et de l'entrée de gamme des AOC réputées. Toutes les régions, sauf la Bourgogne et l'Alsace, sont présentes dans ce créneau. Entre 3 et 5 euros/col, on entre dans le segment premium avec un peu moins de 10 Mhl. On y trouve le coeur de l'offre des AOC renommées, mais aussi des vins de pays valorisés et des signatures, c'est-à-dire des bouteilles signées d'une entreprise ou d'un oenologue réputé. Dans ce dernier cas, l'opérateur mise sur un nom plus que sur une origine. Toutes les régions françaises produisent des premiums.
Le segment super premium, de 4,50 à 9,2 euros/col, avec 3,4 Mhl, se recentre sur les AOC, les signatures et quelques produits de niches comme des VDP de domaines. Les vignobles du sud y sont sous-représentés.
Au-delà de 9,20 euros/col, ce sont les ultras premiums , puis les icons. L'offre française totalise 1,3 Mhl sur ces créneaux. Ils sont essentiellement produits en Bourgogne et dans le Bordelais, et plus exceptionnellement dans les autres vignobles.
Les basics s'écoulent, en France, du fait de consommateurs réguliers, mais âgés, dont le renouvellement n'est pas assuré. En Europe, la concurrence est vive et s'accroîtra avec les excédents du Nouveau Monde.
Les premiums sont au coeur de la compétition internationale. Sur ce segment, notre offre est très attaquée. ' En premium, le marché britannique montre un engouement pour les vins australiens. Les consommateurs sont satisfaits de l'offre. Ils rachètent plus cher à leur deuxième achat. Ainsi, l'Australie monte en gamme. Ce mécanisme ne fonctionne plus pour les vins français, car les consommateurs doutent fortement de la garantie de qualité offerte par les différentes appellations ', observe Françoise Brugière, chef de la division études et marchés à l'Onivins.
Aux Etats-Unis, les choses sont similaires. ' Le segment premium est le coeur du marché et de la concurrence. Les budgets publicitaires, en particulier à la télévision, sont importants. Les prix moyens sont en hausse. Les vins de cépages français ont du mal à passer le cap des 7 $ faute de crédibilité ' , déplore Françoise Brugière.
Pour chacun de ces segments, les acheteurs internationaux ont des exigences précises en termes de qualité du produit, d'habillage, de logistique... ' Positionner son vin en premium sur le marché américain implique, par exemple, de prévoir un budget suffisant pour une campagne publicitaire télévisée ', remarque Françoise Brugière. Lorsqu'on n'a pas les reins assez solides, il faut trouver d'autres moyens pour paraître dans les médias, comme d'obtenir de bonnes notes des critiques.
Les vins basic et popular doivent répondre à des critères de compétitivité industrielle et logistique. Cependant, dans ces deux catégories, la bataille se joue avant tout sur les prix. Il faut être moins cher que son concurrent. Au-dessus, les acheteurs ont d'autres priorités : ils demandent à leurs fournisseurs des investissements en marketing, afin de soutenir l'image et la notoriété de leur vin. Ils veulent aussi une maîtrise de l'amont viticole et de la qualité commerciale. Le prix n'est plus le premier critère de sélection. Si les opérateurs français désirent progresser sur le segment des premiums et au-delà, ils doivent tenir compte des attentes globales de leurs clients.