Au printemps, la cave de Mazan rencontre ses acheteurs pour s'enquérir des vins qu'ils souhaitent. Puis elle organise la culture, les apports et les vinifications de manière à les obtenir.
A la fin de chaque printemps, les responsables de la cave de Mazan font la tournée de leurs clients. Ils rencontrent les treize négociants et l'Union de producteurs des Côtes du Ventoux qui achètent 80 % de leur production. Ensemble, ils procèdent à une analyse critique de la campagne écoulée. Ils examinent les objectifs sur lesquels la cave s'était engagée. Ils regardent si les vins livrés correspondent aux profils qui avaient été définis, bien avant la récolte. En cas d'écart, ils essaient d'en comprendre les raisons.
Avant de repartir, les responsables de la cave enregistrent les besoins à venir. Rentrés chez eux, ils traduisent ces demandes en cahier des charges de production. Ils déterminent les parcelles, les modes de culture et les procédés de vinification, qui permettront d'élaborer les produits prédéfinis dans les quantités souhaitées par les acheteurs. C'est ce que l'on appelle l'ingénierie reverse. ' On travaille avec un fil directeur : le style de chaque vin. Le respect de la gamme permet une fidélisation des clients. C'est utile, en particulier lors de millésimes difficiles ' , analyse Alain Gerbaud, maître de chai.
Concrètement, comment s'y prend-t-on ? Prenons un exemple. Un négociant souhaite un côtes-du-ventoux rouge riche et puissant, de couleur dense, au nez intense et fruité, avec beaucoup de volume en bouche et de rondeur. Le profil analytique du vin fini est défini précisément : titre alcoométrique entre 13 et 13,5 % vol., indice de polyphénols totaux supérieur à 65, intensité colorante supérieure à 10 après malo, acidité totale comprise entre 3,2 et 3,4 g/l d'équivalent H 2SO4 et pH entre 3,6 et 3,8. Pour répondre à cette demande, la cave a besoin de raisins colorés. Elle privilégie les syrahs et des grenaches de fort potentiel. Elle sait où les trouver : partant d'une cartographie des terroirs, elle a délimité des unités culturales homogènes. Ces unités regroupent des parcelles qui ont en commun d'être sur le même terroir, de porter un même cépage, d'une même classe d'âge.
Mais la coopérative veut aussi des raisins de bonne qualité, récoltés à maturité. Elle demande aux coopérateurs de mener les syrahs selon une charte de viticulture raisonnée, en cordon palissé, taillées à douze yeux maximum. Elle impose que chaque cep compte au plus quinze grappes, petites à moyennes. Les responsables de la cave proposent ce contrat aux viticulteurs pouvant répondre aux critères. Les volontaires s'engagent à apporter ces raisins un jour convenu à l'avance et dans un parfait état sanitaire.
A la cave, le maître de chai érafle à 100 % pour éviter les tanins durs et herbacés. Alain Gerbaud ajuste aussi les paramètres de macération. Il laisse monter la température en début de fermentation sans dépasser 30°C, puis après 1 060, il maintient à 25°C pour ' finir les sucres ' et extraire. Il ordonne des délestages en début de cuvaison, puis en fonction de la dégustation. Il ajoute aussi des enzymes d'extraction. La macération dure trois à quatre semaines, le décuvage est décidé selon la dégustation. ' On a même investi dans la micro-oxygénation pour avoir du volume et de la rondeur sur notre vin de syrah puissant ', explique Alain Gerbaud.
' En suivant toutes ces conditions strictes, puis par le jeu des assemblages, on arrive au profil souhaité des valeurs analytiques respectant les consignes. ' En travaillant ainsi, la cave de Mazan assure ses débouchés. Elle est également payée 5 à 10 % plus cher que si elle mettait ses vins en vente après les avoir vinifiés à sa guise.
Reste que les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Des ajustements sont alors nécessaires. Ils portent principalement sur le calendrier des apports et des assemblages. L'an dernier, la cave a dû décréter des journées spécialement dédiées au ramassage des rosés, car les degrés grimpaient en flèche. Les adhérents ont réagi en conséquence. L'ingénierie reverse suppose un esprit de planification, mais également beaucoup de souplesse pour faire face à l'imprévu.
Alain Gerbaud, maître de chai de la cave des vignerons de Canteperdrix, à Mazan (Vaucluse)
60 000 à 70 000 hl vinifiés par an.
15 salariés permanents.
250 coopérateurs.
1 150 ha, dont 70 % en Côtes du Ventoux et 30 % en vin de pays du Vaucluse.
80 % des ventes en vrac au négoce et à une union de producteurs.
30 % à l'export.