Depuis trente ans, les vignerons frioulanais s'appliquent à améliorer la qualité de leurs vins et à moderniser leurs chais. Leur détermination porte ses fruits.
La petite histoire voudrait qu'importée d'Orient, la vigne fit son apparition dans le Frioul avant d'arriver en France. Elle dit aussi que le vin égayait les tables frioulanes, alors que la Gaule transalpine ignorait encore tout de son existence. Mythe ou réalité ? Toujours est-il que la vigne est bel et bien présente dans cette région du nord-est de l'Italie, située entre les Alpes au nord, la mer Adriatique au sud, à une trentaine de kilomètres de la ville de Trieste.
La production annuelle d'environ 1,5 million d'hectolitres (Mhl) de vins tranquilles et mousseux reste modeste, mais laisse la part belle aux vins blancs qui en représentent les trois quarts. La région compte 7 des 297 dénominations d'origine contrôlée (DOC), dont les plus connues sont Collio, Colli orientali del friuli et Friuli isonzo. Au total, une quarantaine de cépages locaux (tocai friulano, ribolla gialla...) et de variétés internationales (chardonnay, sauvignon, merlot...) sont autorisés. Ils entrent seul ou en association dans les différentes dénominations. Ils sont parfois mentionnés sur les étiquettes.
Depuis trente ans, la part des vins produits en DOC est passée de 2 à 40 %. Les vignerons frioulanais croient fermement à un vin ' made in Frioul '. Ils n'ont de cesse d'améliorer la qualité de leur production en investissant dans la modernisation de leurs chais.
Prenez par exemple, la Coopérative des producteurs de Cormons (Cantina produttori de Cormons), la deuxième cave du Frioul, avec 35 000 hl. Depuis le démarrage de la mise en bouteilles, il y a vingt-cinq ans, elle mène une exigeante politique de qualité, pas seulement du raisin, mais à toutes les étapes, de la vigne jusqu'à l'étiquetage. Sous la houlette de Luigi Soini, son dynamique directeur qui joue d'une main de fer dans un gant de velours, le nombre de vignerons est passé de 46 à 200 et la surface cultivée a doublé, à 450 ha. En vingt ans, la cave a investi 6 millions d'euros. Elle dispose ainsi d'équipements de pointe, dont une batterie de huit pressoirs pneumatiques réfrigérés (capacité de 160 hl en 2 heures). Depuis trois ans, à la sortie des remorques, le raisin est immédiatement versé dans des conduites réfrigérées qui le mènent au pressoir.
Pour obtenir une cave aussi bien équipée, ' les producteurs ont dû consentir beaucoup de sacrifices ', concède Luigi Soini. Deux conditions préalables à l'adhésion sont obligatoires. Les vignerons travaillent en apport total et intégralement en appellation contrôlée. En outre, ils doivent respecter un cahier des charges, vendanger manuellement, avec un rendement maximal établi à 10 000 kg/ha.
Jusque-là, tout va bien, mais ' la méthode Cormons ' a de quoi surprendre. ' La politique de la cave est claire, affirme Luigi Soini. Il faut mériter d'y travailler. On n'est pas du tout dans la logique 'je livre à la coopérative, car je ne sais pas quoi faire de mes raisins'. '
De fait, le ticket d'entrée à la cave est très cher. Le vigneron doit s'acquitter d'un forfait de 2 500 euros, plus 5 000 euros/ha. Résultat ? La cave produit tous les ans 2,5 millions de bouteilles, dont 500 000 de mousseux et quelque 70 vins différents. Leur prix ? 4 à 5 euros pour le coeur de gamme, des vins où le cépage est mis en avant, et 10 euros pour les cuvées particulières. Le chiffre d'affaires atteint 11 millions d'euros en 2002. 80 % des débouchés ciblent la restauration italienne et la vente directe.
A quelques kilomètres de là, à Capriva del Friuli, le propriétaire du château Castello di Spezza et du domaine La Boatina a investi, en dix ans, 2,6 millions d'euros pour restructurer ses deux vignobles et moderniser les chais. Paolo Della Rovere, leur directeur commercial, fermement convaincu de l'avenir des vins de la région, décrit les importants efforts réalisés. Les 30 ha de vigne du château, rachetés en 1989, ont été replantés en dix ans, à une densité plus importante de 5 600 pieds/ha. La majorité de la production est vinifiée et élevée en cuves en Inox, à l'exception des cuvées haut de gamme qui voient le fût. 200 barriques de 114 l leur sont réservées. Le château met sur le marché 80 000 bouteilles, commercialisées 13,50 euros aux particuliers.
La Boatina produit 3 500 hl avec 54 ha de vignes d'appellation, plantées à 5 600 pieds/ha. Très à l'écoute du marché, le domaine présente une gamme de vins de cépages - à 85 % internationaux - avec une étiquette très claire, où seuls sont inscrits en gros le nom du cépage et La Boatina. Les vins sont vendus 10 euros aux particuliers, 6 euros pour la restauration. Les vins rencontrent un tel succès que d'ici à 2005, le château entend doubler ses ventes, alors que La Boatina compte cultiver 12 ha supplémentaires.
Non loin de là, le fameux domaine Mario Schiopetto, créé il y a quarante ans, l'un des pionniers de la maîtrise des températures, produit 80 % de vins blancs sur une trentaine d'hectares. Depuis 1990, 500 000 euros ont été investis pour la construction et l'équipement d'une nouvelle cave gravitaire, d'une capacité de production de 350 000 bouteilles. En perpétuelle recherche, le domaine teste différents contenants en bois (foudres, barriques) et, depuis 1999, il pratique la macro et micro-oxygénation aussi bien en cuves qu'en barriques. Une manière de perpétuer la ferme conviction de son fondateur pour les vins de la région.