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Juste deux règles au 'château'

La vigne - n°158 - octobre 2004 - page 0

Le terme ' château ' ne fait pas l'objet de définition juridique. Pour utiliser ce nom, le vin doit bénéficier de l'appellation d'origine et venir des vignes de l'exploitation.

Un producteur de vins d'AOC bordelaise a été condamné le 4 mai 2004 pour tromperie sur l'origine, la qualité et l'identité de sa marchandise, sans que la qualité du vin mis en marché ait fait l'objet de la moindre critique. C'est sur l'utilisation du terme ' château ' qu'a porté l'accusation. Ce vocable est galvaudé... Dans la région bordelaise, il existe plus de 4 000 châteaux viticoles... mais plusieurs ne comportent aucune demeure châtelaine, ni habitation, ni même bâtiment d'exploitation.
Si, en Bordelais, l'administration ne s'offusque pas de cette pratique, ailleurs, les fraudes exigent que l'exploitation comprenne une bâtisse ayant de nombreuses pièces et, si possible, des tourelles et des créneaux.
Parmi les interprétations faites du mot ' château ', la Cour européenne de Luxembourg, interrogée par les juges français, a déclaré que des terres ayant autrefois fait partie d'un domaine appartenant à un château pouvaient bénéficier de ce terme, même si elles ont été depuis détachées de la propriété initiale et si leurs raisins sont vinifiés en coopérative. Dans ce dernier cas toutefois, les raisins doivent être vinifiés de manière séparée.
Tel n'était pas le cas dans notre affaire. Le château de Reignac, producteur d'AOC Bordeaux supérieur, est confronté au vieillissement de son vignoble. Le responsable décide d'arracher et de replanter 12 ha de vignes. Le temps que les jeunes plants produisent de l'AOC, la production se trouve donc amputée d'une bonne partie de ses capacités antérieures.
Pour éviter la rupture de stock, le responsable achète des raisins à des voisins et les vinifie dans ses installations. Le vin produit est agréé par l'Inao, puis mis sur le marché sous la dénomination ' Château Reignac '. Des poursuites sont engagées par les fraudes. Elles estiment cette dénomination injustifiée, car les raisins ne proviennent pas du château Reignac.
La cour d'appel condamne le responsable du château pour tromperie sur l'origine, la qualité et l'identité de la marchandise vendue. Il se pourvoit en cassation. Voici les arguments respectifs utilisés par les parties.

Aux yeux de l'administration, suivie par la cour d'appel, l'article 13-4 du décret du 19 août 1921 s'impose. Selon ce texte, le terme ' château ' est réservé à un produit, à deux conditions : qu'il bénéficie d'une appellation d'origine et provienne d'une exploitation agricole existant réellement. L'administration a aussi fait valoir que l'article 6, du règlement communautaire du 16 octobre 1990, subordonne l'utilisation de ' château ' à la condition que le vin provienne de raisins récoltés dans les vignes faisant partie de cette même exploitation.
L'argumentation défendue par le prévenu repose sur le principe de la hiérarchie des règles. L'article L 641-17 du code rural interdit l'usage de ' château ' au vin n'ayant pas droit à une appellation d'origine. Ce texte résulte de la loi du 6 mai 1919, plusieurs fois modifiée. Il a été confirmé par la dernière loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999. Pour la défense, l'article L 641-17 a restreint le 13-4 du décret de 1921, puisqu'il ne pose plus qu'une seule condition : la nécessité pour le vin d'être à appellation d'origine.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation. Elle a approuvé la cour d'appel d'avoir estimé que l'article du code rural ne fait pas obstacle à l'application du décret. Certes, en principe, les décrets sont faits pour appliquer un texte législatif, mais il existe des décrets autonomes pour lesquels le gouvernement entend intervenir sur une matière précise, et c'est le cas pour celui de 1921. Si la loi codifié à l'article 641-17 du code rural avait entendu contredire le décret, le gouvernement, en application de l'article 41 de la Constitution, aurait pu s'opposer au vote de la loi.
Ayant ainsi constaté la violation du décret et donc l'existence de la tromperie, la Cour de cassation ajoutera que l'élément intentionnel pour reconnaître un délit est caractérisé par le comportement commercial du prévenu qui, loin d'être de bonne foi, connaissait la règle en vigueur.

Référence : Cour de cassation, chambre criminelle du 4 mai 2004, pourvoi 0383889.

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