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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Seuls les raisins du château ont droit à la mention prestigieuse

Jacques Lachaud - La vigne - n°215 - décembre 2009 - page 73

La justice vient de rappeller la jurisprudence communautaire selon laquelle seules les récoltes issues de parcelles ayant appartenu à un château peuvent s'en prévaloir.

Même si, en droit, la notion de château demeure incertaine faute d'une définition légale ou réglementaire, le consommateur y reste sensible… Un vin qui s'abrite derrière une qualification de « château » est plus recherché qu'un autre. C'est d'ailleurs pourquoi, la marque château X ou Y déposée jouit de la protection administrative.

On se doute que la dénomination « Château de Chassagne-Montrachet » est un plus commercial. Dans l'affaire qui nous intéresse, une société exploite, depuis 1919, un vignoble dépendant de l'ancien domaine du château de Chassagne-Montrachet. Ce GFA (Groupement foncier agricole) se dénomme « domaine du château de Chassagne-Montrachet ». Il utilise les bâtiments constituant les communs du château pour la vinification et la mise en bouteille.

En 1997, une Société civile d'exploitation agricole (SCEA) qualifiée de société viticole du château de Chassagne-Montrachet se rend propriétaire des bâtiments d'habitation du château et d'une parcelle de vigne située à proximité. Cette société est aussi propriétaire d'autres parcelles totalement indépendantes du domaine. Or, elle décide de mettre toute sa production en marché sous le nom « Château de Chassagne-Montrachet ».

Cinq ans pour obtenir réparation

Les hostilités étaient inévitables : le GFA engage une procédure contre la SCEA pour concurrence déloyale. Comment celle-ci peut-elle se prévaloir de la dénomination « château » alors que la majorité de son vignoble n'en a jamais fait partie ?

Dans les débats, il sera fait état de l'article du règlement communautaire du 16 octobre 1990 relatif à l'emploi du terme « château » et de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 29 juin 1994 qui l'a interprété. Selon cette jurisprudence, on ne peut utiliser la mention de château que pour des récoltes issues de parcelles ayant appartenu à un château. Et si l'on exploite de telles vignes avec d'autres parcelles n'ayant jamais fait partie d'aucun château, il faut, en plus, mettre en place des procédures fiables pour distinguer et vinifier séparément les deux récoltes.

Dans le litige qui oppose le GFA à la SCEA, la cour d'appel de Paris n'a pas appliqué cette jurisprudence. Elle a rejeté la prétention du GFA aux motifs que la SCEA vinifie sous la dénomination « château de Chassagne-Montrachet » des raisins provenant pour partie de l'ancien domaine et pour les autres de différentes parcelles bénéficiant de l'AOC Chassagne-Montrachet. Les juges de la cour de Paris remarquent que les raisins proviennent d'une seule exploitation, que la vinification se fait sous la responsabilité de la même personne morale. Ils ajoutent « il n'est pas démontré que les conditions d'usage de l'appellation soient de nature à créer un risque de confusion pour les consommateurs » et ils affirment que « les termes Chassagne-Montrachet constituent une appellation d'origine qui ne peut faire l'objet d'une appropriation ».

Imaginez la stupeur du GFA ! Ne voulant pas lâcher l'affaire, on comprend qu'il s'est pourvu en cassation. Il aura fallu attendre trois ans pour que la Cour suprême se remémorant l'arrêt de la CJCE censure les juges parisiens. La Cour de cassation censure la cour au motif que les juges d'appel n'ont pas « constaté que des procédures fiables avaient été instaurées pour que les raisins récoltés sur l'ancien domaine du château ne soient pas mélangés à ceux récoltés sur d'autres parcelles ». Pour enfoncer le clou, les juges suprêmes ajoutent « peu importe que l'ensemble des opérations de vinification aient eu lieu dans les bâtiments du château ».

Il restait à fixer les dommages-intérêts dus aux GFA… Il a fallu attendre encore deux ans… Par deux arrêts du 25 février 2009 et du 1er juillet 2009, la cour de renvoi a confirmé la culpabilité de la SCEA et l'a condamnée à 150 000 euros de dommages-intérêts. Elle lui a fait défense, sous astreinte, de 100 euros par infraction, d'utiliser l'appellation « château » sous quelque forme que ce soit, sauf pour les raisins provenant de la parcelle attenante au château et qui faisait partie de l'ancien domaine.

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Référence :

Cour d'appel de renvoi

CA de Paris - 1/07/09

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