En 1991, l'appellation Saint-Joseph a décidé d'arracher ses terroirs les moins qualitatifs pour planter sur les coteaux. Cette mesure, plutôt mal accueillie par les viticulteurs à l'époque, porte ses fruits aujourd'hui.
L'arrachage des terroirs les moins qualitatifs fait couler beaucoup d'encre depuis quelque temps. Un vignoble a osé franchir le pas il y a plus de dix ans. C'était Saint-Joseph. ' En 1969, l'Inao avait étendu l'aire de l'appellation Saint-Joseph de manière laxiste, jusqu'à 7 000 ha , rappelle Amaury Cornut-Chauvinc, ancien président de l'appellation. Les règles de production étaient floues. Les viticulteurs avaient planté dans des zones mécanisables et faciles à travailler, à savoir les pieds et les hauts de coteaux. Près de 200 ha de vigne étaient ainsi situés sur des zones moyennement qualitatives . ' Le syndicat a donc décidé de réagir.
Dans les années quatre-vingt, il a demandé une redéfinition de l'aire. L'Inao a nommé une commission d'experts (géologue, ampélographe et oenologue), chargée de redéfinir les futurs contours de la zone AOC, suivant les critères du syndicat : distance par rapport au Rhône, altitude et coteau. Les sols et l'exposition devaient eux aussi être pris en compte.
De 7 000 ha, l'aire est tombée à 3 000 ha, et sur les 600 ha plantés, 200 ha devaient être arrachés. En 1991, après moultes discussions et de nombreux tollés, le projet a été accepté. ' Au départ, j'étais contre cette mesure, avoue Christian Coulaud, président de la cave de Sarras (Ardèche). Mais nous avons discuté et réfléchi. Des mesures d'accompagnement ont été trouvées. Nous avons pensé à l'avenir, et j'ai changé d'avis . ' Selon Joël Durand, président actuel de l'AOC, un élément non négligeable a joué en faveur de cette relocalisation : ' Il y avait beaucoup de polyculture sur la zone d'AOC. Nous avons donc pu retirer des terroirs non plantés, de moindre qualité, sans dommage pour les propriétaires qui ne revendiquaient pas l'AOC. De plus, sur les 200 ha arrachés, beaucoup étaient sur une frange qui flirtait avec le lit du Rhône, ou étaient trop en altitude. Chaque viticulteur concerné a eu quelques ares otés. Peu de parcelles ont été arrachées totalement . '
Pour favoriser la relocalisation, le syndicat, en collaboration avec l'Inao et l'Onivins, a mis en place une série de mesures. Tout d'abord, les viticulteurs situés dans les zones à arracher disposent de trente ans, soit jusqu'en 2021, pour arracher leurs vignes et les replanter en coteaux. Après cette date butoir, les vignes non arrachées ne pourront plus bénéficier de l'AOC Saint-Joseph, ni de repli.
Cette durée a été choisie en fonction de deux critères : le temps nécessaire aux viticulteurs pour procéder à une relocalisation lente et douce, et la conservation d'un équilibre entre jeunes et vieilles vignes, afin de garder un bon niveau qualitatif. Parallèlement, un système de plantations anticipées a été mis en place : un viticulteur replantant en coteaux peut n'arracher ses vieilles parcelles qu'une fois les nouvelles entrant en production. Cette mesure évite les pertes de rendement. Troisième mesure : des îlots vitrines ont été créés. Ces vignobles, situés sur les terroirs les plus qualitatifs des coteaux, visibles depuis la N 86, l'A 7 ou le TGV, avaient pour but de donner une image positive de la viticulture de Saint-Joseph. Ils ont, entre autres, servi d'outils de communication.
La redéfinition de l'aire d'appellation ne s'est pas faite sans heurts. D'un point de vue pratique, il a fallu retrouver les propriétaires des parcelles situées en zones de coteaux, qui étaient délaissées depuis la Seconde Guerre mondiale, ce dont s'est chargée la Safer.
Il restait ensuite l'épineux problème des viticulteurs mécontents et récalcitrants à résoudre. ' Un noyau dur a beaucoup décrié ces mesures, se souvient Christian Coulaud. Il a traîné le syndicat devant le tribunal. Mais comme la mesure avait été votée à la majorité, rien n'a abouti . ' ' Il y a eu de mauvaises réactions au départ, enchaîne Amaury Cornut-Chauvinc. Les viticulteurs concernés ont grogné. Certains ont même menacé de se pendre. Mais, petit à petit, ils ont compris tout l'intérêt de la mesure et ont accepté d'arracher. '
Tant et si bien qu'aujourd'hui, ' il n'y a pas un vigneron qui regrette cette mesure, assure Christian Coulaud. L'AOC est remontée en qualité, et bénéficie d'une image positive. D'un point de vue économique, malgré la crise qui sévit en France, nos cours se maintiennent et nous tirons notre épingle du jeu . '
' Rétrospectivement, je ne regrette pas d'avoir mené cette restructuration , confie l'ancien président. L'AOC a su communiquer. Elle est maintenant reconnue pour son unicité et la qualité de ses produits. Dans les mercuriales de vins rouges, Saint-Joseph se retrouve souvent dans les quatre ou cinq premiers, derrière des appellations telles que Chateauneuf-du-Pape ou Saint-Emilion. Sans la relocalisation, je pense que l'appellation se serait brisée. Nous sommes allés dans le bon sens, et le résultat économique se fait sentir. Le cours du vrac a doublé entre 1991 et 2004 : de 2,30-2,40 euros/l (15-16 F), il est passé à 4,70 euros/l (30 F), ce qui est rare en ce moment ! '
L'audace a été payante pour Saint-Joseph. Aujourd'hui, les appellations connaissant des problèmes de commercialisation oseront-elles s'atteler à une telle tâche ?
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L'exemple de Saint-Joseph montre qu'on a tout à gagner à abandonner les mauvais terroirs.
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Les responsables doivent s'attendre à des réactions violentes et des coûts élevés.