Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 2004

Je voulais un domaine à tout prix

La vigne - n°159 - novembre 2004 - page 0

Gilles Pirabeau est parti de rien. Avec sa femme, ils ont travaillé comme des forcenés pendant trente-deux ans pour monter un vignoble de 18 ha. Son exploitation est menacée par la crise qui frappe Bordeaux.

'J'ai créé ce que je voulais. ' A 54 ans, Gilles Pirabeau, vigneron et courtier à Saint-Quentin-de-Baron, dans l'Entre-deux-Mers, est ' très fier ' de son parcours. Parti de zéro, épaulé par sa femme Christiane, également 54 ans, il a travaillé comme un forcené pour devenir son propre patron. Il a monté pas à pas son domaine de 18 ha en appellations Bordeaux et Saint-Emilion.
Après son mariage en 1972, Gilles est chef d'équipe chez un paysagiste. Il y travaillera à temps complet pendant quinze ans. Christiane est aide-soignante à l'hôpital. Malgré leur emploi du temps chargé, ils se lancent sur 3 ha, en partie plantés. Ils arrachent les vignes existantes. Ils plantent la surface en cabernet-sauvignon à 3 m sur 1 m. Tous les soirs, les dimanches et jours fériés, ils s'attellent à la tâche. Officiellement, c'est Jean, père de Gilles, qui exploite ces vignes. C'est lui le propriétaire.
Débrouillard, habile, Gilles construit lui-même, avec des amis, beaucoup de choses. Ainsi, il compresse les coûts. De 1973 à 1978, il élève ses huit premières cuves en béton dans un vieux bâtiment. En 1988, il bâtit un nouveau chai de 200 m². En 1993, il rénove la réception de vendange. En 2000, il achète des plaques d'Inox pour réaliser trois cuves de 160 hl et les passerelles d'accès.

En 1987, Gilles succède à son père qui part à la retraite. Il s'installe officiellement avec sa femme sur 9 ha, dont 3 ha en appellation Saint-Emilion provenant de la famille de Christiane. Elle conserve un mi-temps à l'hôpital et travaille sur le domaine.
Il quitte son emploi, mais prend une carte de courtier en vins pour ' conserver un revenu supplémentaire en cas de pépin ', et payer les extras de la vie de famille. Il démarre avec le négociant Gabriel Dulong. Aujourd'hui, il travaille avec cinq négociants et place 10 000 hl avec une rémunération de 2 %.
Depuis le départ, il commercialise la majorité de son propre vin en vrac. Il écoule ainsi près de 700 hl de bordeaux. Parallèlement, il développe d'autres circuits. Depuis 1988, il vend environ 250 hl tous les ans à Guiraud-Raymond-Marbot. Ce négociant embouteille à la propriété, sous sa responsabilité. Il verse 135 euros supplémentaires par tonneau (900 l) pour l'utilisation des deux noms de l'exploitation : château Noaillan Le Tuquet en appellation Bordeaux, et domaine des Grandes Versannes en Saint-Emilion.
En 1990, Gilles achète 4,5 ha attenants à son domaine. La récolte est livrée à la cave coopérative d'Espiet. Il reconduit toujours cet engagement. Depuis 2000, il réalise comme courtier des contrats de vendange fraîche pour le compte de la maison Dulong, soit 50 ha. Lui-même livre 3,5 ha de raisins de cabernet franc à cet acheteur.
Depuis trois ans, la vente directe prend de l'ampleur. Au départ, elle concernait uniquement le saint-émilion. Maintenant, l'exploitation vend aussi des bouteilles de bordeaux. L'essentiel de la clientèle se trouve en Haute-Loire. Gilles s'y rend trois week-ends d'affilée avant Noël. Lors de ses tournées de livraison, il recrute toujours de nouveaux clients. Il commercialise ainsi les trois quarts de ses 12 000 bouteilles. Le prix de vente TTC départ propriété s'élève à 5,67 euros pour le saint-émilion, à 3,83 euros TTC pour le bordeaux rouge et à 3,21 euros pour le bordeaux rosé. Mais l'exploitation souffre de la chute des cours. En 2003, son chiffre d'affaires a baissé de 18 % par rapport à 2002. Alors Gilles s'avoue parfois ' démotivé '. Pourtant, il semble avoir fait le plus dur. Il aura remboursé tous ses emprunts en 2007.

' Si je voulais suivre l'évolution, je devrais investir dans un chai à barriques, un appareil de maîtrise des températures, une station d'épuration. Je ne le ferai pas. ' Il devrait aussi effectuer davantage de travaux en vert, affiner les vinifications pour présenter ses vins à des concours, toutes choses qu'il n'a pas eu le temps de faire.
' Je suis proche de la retraite et mes deux filles ne reprendront pas le domaine. J'entends maintenant passer la main sans grignoter le capital investi. ' Toute sa vie, Gilles s'est donné à fond et il ' en paye le prix, dit-il, avec deux prothèses de la hanche et une maladie du coeur. '
Il réfléchit à l'arrachage de ses vignes, même si ' ça lui ferait franchement mal au coeur ', car il en a ' trop bavé ' pour les planter. Pourtant, si les primes sont intéressantes, il franchira probablement le pas.


L'EXPLOITATION EN DATES
1972 Démarrage avec 3 ha de vigne
1977 1,5 ha en Saint-Émilion, hérité par Christiane
1987 Installation sur 9 ha, courtier
1990 Achat de 4 ha en contrat avec la coop d'Espiet
2000 3,5 ha de vendange au négoce
2003 La propriété atteint 18 ha



Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :