En l'absence de décret français, la règle européenne des 85/15 s'applique, en théorie, depuis plus d'un an. Elle fait l'unanimité des opérateurs pour le millésime, mais rares sont ceux qui reconnaissent l'appliquer.
Le règlement européen n° 753/2002 institue la règle dite des 85/15 pour le millésime et le cépage. L'année de récolte peut figurer dans l'étiquetage d'un vin de pays, d'une AOC ou d'un VDQS ' lorsque au moins 85 % des raisins utilisés pour l'élaboration du vin en question c...s ont été récoltés au cours de l'année en question ', précise l'article 18. L'article 19 établit la même règle pour le cépage.
L'entrée en vigueur de ce règlement, prévue le 1 er janvier 2003, a été repoussée au 1er août 2003, pour permettre aux Etats membres de mettre à jour de leur législation nationale. Après la publication du texte le 4 mai 2002, de nombreux débats ont émergé en France, mais sont restés stériles à ce jour : aucun décret français n'est paru sur le sujet de l'étiquetage, alors qu'il était question d'en produire un plus restrictif. En l'absence de dispositions contraires dans leurs propres décrets, les vins de pays et les appellations peuvent recourir à la règle des 85/15. Les vins de pays d'Oc, par exemple, n'y ont pas droit pour l'indication du cépage. Leur décret dit qu'il doit être pur s'il est mentionné seul.
Autorisée depuis plus d'un an, réclamée à corps et à cris par le négoce qui veut pouvoir se battre avec les mêmes armes que ses concurrents, la règle des 85/15 n'est officiellement appliquée nulle part. Pourtant, de nombreux opérateurs reconnaissent que la réglementation ne fait qu'officialiser des pratiques qui ont toujours eu cours autour d'eux.
L'incertitude plane à la suite des diverses prises de position. L'Inao est fermement opposé à cette pratique. Certains opérateurs préfèrent ménager l'institut. D'autres redoutent que, localement, les fraudes aient des interprétations plus strictes. ' Quand la brèche sera ouverte, nous suivrons ', avoue un oenologue. Voyons d'abord ce qu'il advient des pionniers.
Quelques coopératives et négociants sont moins frileux. ' Il suffit, avant de le faire, de téléphoner aux fraudes, rassure Denis Roume, directeur de l'union de caves coopératives Uvica (Ardèche). Nous allons peut-être y recourir cette année pour mettre les 2004 plus tôt sur le marché ', et changer de millésime de façon moins brutale. Dans ce cas, l'utilisation de 15 % d'un millésime antérieur est ' juste ce qu'il faut pour ne pas mettre en marché un vin trop nouveau '.
C'est d'ailleurs le principal intérêt que les opérateurs voient dans cette règle. ' Pour nos vins de pays positionnés en marques, nous l'utiliserons pour le millésime , annonce Guy Sarton du Jonchay, responsable des achats vins aux Chais Beaucairois. Cela permettra, par exemple, de faire la transition entre deux années, sans heurter le consommateur. ' Pour cette raison, Jean-Pierre Drieux, viticulteur dans le Gers et président du Syndicat des vins de pays des Côtes de Gascogne, est favorable aux 85/15. Certes, la mention du millésime n'est pas obligatoire sur une bouteille. Mais à l'exportation, ' les millésimes doivent se ressembler. Ils servent surtout de date de fabrication et donc de péremption ', estime-t-il.
Autre avantage : ' En 2003, nous aurions pu mieux répondre aux exigences de nos clients en terme de degrés. Certains marchés demandent 12°5-13°, alors que la nature nous avait donné des vins allant jusqu'à 14° ', explique-t-on aux Chais Beaucairois.
Pour d'autres opérateurs, l'intérêt est d'' écouler des soldes de millésimes réputés mauvais '. Il ne s'agit pas d'écouler de mauvais vins, mais des vins qui seraient pénalisés par la réputation de leur millésime. ' Cette disposition comporte des risques d'abus, regrette Guy Sarton du Jonchay. Il est de la responsabilité de chacun de l'utiliser au service d'une meilleure satisfaction des clients. La sanction viendra vite des marchés. '
Pour le cépage, les avis sont plus partagés. Aux Chais Beaucairois, la prudence est de mise. ' Nous demanderons à nos fournisseurs de garantir la pureté du cépage , poursuit Guy Sarton du Jonchay. Il ne s'agit pas de perdre la typicité des vins. La règle du 85/15 pourra être mise en oeuvre pour améliorer les caractéristiques d'un assemblage. Par exemple, si un merlot fruité manque de structure, pourquoi ne pas lui adjoindre 15 % d'un cabernet-sauvignon plus structuré ? ' A la cave coopérative Val d'Orbieu, Jean-Marie Paul nuance : ' Nos clients sont parfois plus exigeants que les dégustateurs des vins de pays d'Oc. ' Ainsi, il déclasse souvent en générique des cuves agréées en cépage pour manque de typicité. Il ne voit donc pas l'intérêt de ' couper ' ses cépages.