La bouteille Châteauneuf-du-Pape est gravée du nom de l'AOC. Cela n'autorise pas tous les producteurs à l'utiliser. En effet, elle est protégée par une marque, déposée par un syndicat qui la réserve à ses membres.
Fiers de leur vin, les producteurs de Châteauneuf-du-Pape ont eu l'idée, il y a plus d'un demi-siècle, de créer une bouteille spéciale pour mettre leur vin en valeur. Réalisée par la verrerie Souchon, ladite bouteille adopte la forme bourguignonne et la teinte feuille morte. Elle porte en relief les armes pontificales, entourées de l'inscription ' Châteauneuf-du-Pape ' en caractères gothiques.
Comme le rappelle l'article 10 du décret du 15 mai 1936, modifié en 1937 et créant l'AOC, ' la bouteille spéciale, propriété du Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf-du-Pape, déposée le 2 juin 1937 au greffe du tribunal d'Orange, ne peut être utilisée que pour les vins de Châteauneuf-du-Pape . ' Il est donc clair qu'elle ne peut contenir aucun autre vin. Reste à savoir si tous les producteurs de Châteauneuf-du-Pape peuvent l'utiliser...
Au départ, la question ne se posait pas. Seul, le syndicat local, constitué en 1922, fédérait les producteurs. Mais le 13 mai 1960, un syndicat intercommunal de défense viticole de l'AOC se crée. En 1963, les deux organisations se réunissent en une fédération, dont les adhérents utilisent la bouteille armoriale.
Au milieu des années 90, le syndicat intercommunal quitte la fédération. Le 8 janvier 1996, le syndicat local dépose auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) une marque complexe, reprenant tous les éléments de la gravure qui orne la bouteille : le nom de l'appellation et les armes pontificales. Puis, le syndicat local et la fédération signent un contrat de licence pour l'exploitation de cette marque. Dans le même temps, ils mettent en demeure les membres du syndicat intercommunal de ne pas utiliser la bouteille armoriale Aussitôt, ce dernier assigne le syndicat local et la fédération en justice, leur contestant l'exclusivité sur la marque.
Sur le plan commercial, l'enjeu du procès est considérable. Les producteurs de Châteauneuf-du-Pape qui ne sont pas membres du syndicat local et de la fédération, ont-ils la faculté d'utiliser la bouteille déposée ? ' Oui ', répond le tribunal de première instance. Il annule la marque déposée par le syndicat local. Pour les juges, ' les dispositions d'ordre public, relatives aux appellations d'origine, ont pour objet de permettre à tous les bénéficiaires de l'appellation d'en tirer tous les droits en découlant, et notamment en l'espèce l'usage de la bouteille écussonnée expressément et intrinsèquement associée à cette appellation dans le décret constitutif '. Le syndicat local et la fédération font appel. L'un des problèmes juridiques est de savoir s'ils pouvaient déposer une marque dont la dénomination constitue une appellation d'origine. Dans ses écritures, le syndicat local (article 711-4 du code de la propriété industrielle) fait valoir qu'il s'agit d'une marque complexe et qu'elle peut donc contenir le nom de l'AOC.
Par arrêt du 16 avril 2002, la cour d'appel réforme le jugement de première instance et déboute le syndicat intercommunal de sa demande d'annulation de la marque. Pour les juges du deuxième degré, le syndicat local est bien créateur de la bouteille écussonnée. Bien évidemment, un pourvoi est formé.
Le 21 septembre 2004, la Cour de cassation met un terme au procès en approuvant la cour d'appel. En premier lieu, les juges déclarent : il est possible ' d'incorporer l'appellation Châteauneuf-du-Pape dans une marque complexe dont les éléments figuratifs présentent un caractère original et distinctif '. En deuxième lieu, ' la bouteille écussonnée constitue une oeuvre artistique sur laquelle le syndicat local qui l'avait créées bénéficie d'un droit d'auteur '. Enfin, les juges suprêmes relèvent que le syndicat intercommunal a volontairement quitté la fédération et qu'en conséquence, ' il ne pouvait pas revendiquer plus de droits que n'en avaient les non-adhérents '. Concrètement, seuls les adhérents de la fédération et du syndicat local sont en droit de se servir de la bouteille qui porte les armes pontificales.
Référence : Cassation, 4 e chambre, 21 septembre 2004, n° 0 215 435.