Jusqu'alors, la fixation des rendements reposait uniquement sur des critères agronomiques. Ce n'est plus le cas. La crise pousse les appellations à prendre en compte leur économie.
'C'est une révolution. En faisant intervenir les interprofessions dans le processus de décision, on touche à la philosophie même des rendements ', se félicite un directeur d'interprofession. Le constat est unanime : jusqu'à présent, la fixation des rendements annuels dépendait des critères agronomiques seuls, mais la crise fait évoluer les mentalités et le rendement devient un outil pour maîtriser l'offre. Reste que la répartition actuelle des compétences et des pouvoirs entre les organismes viticoles ne colle pas à cette nouvelle logique. Un responsable d'interprofession explique : ' Nos statuts nous donnent pour mission de réguler les marchés. C'est pourquoi nous rassemblons les informations d'analyse des marchés. En même temps, nous n'avons pas les moyens de gérer les volumes de l'offre. En effet, la fixation des rendements appartient au syndicat et à l'Institut national des appellations d'origine . '
A défaut de réorganiser de fond en comble le système, les organisations doivent faire évoluer les procédures de décision. Elles s'y sont engagées en juin dernier. Les responsables nationaux des interprofessions, du négoce et de la production ont écrit au ministre de l'Agriculture qu'ils souhaitaient ' que l'avis de nature économique de l'interprofession soit rendu obligatoirement au comité régional de l'Inao sur les propositions de [...] rendements '. Une volonté plus ou moins bien accueillie...
En Charentes, cela fait longtemps que la quantité normalement vinifiée (QNV) est fixée chaque année par arrêté ministériel, sur la proposition du Bureau national interprofessionnel du Cognac.
La nouveauté de 2005 tient au mode de calcul de cette QNV (voir encadré). Janine Bretagne, juriste du BNIC, explique : ' Auparavant, la QNV était déterminée de façon empirique. Les deux familles avaient parfois du mal à se mettre d'accord... ' Cognac a pu mettre en place cette procédure, car son marché est stabilisé. ' En période de crise, les critères d'analyse sont faussés ', remarque Janine Bretagne.
Aucun autre vignoble n'a mis au point de méthode aussi aboutie qu'à Cognac. En revanche, plusieurs régions raisonnent aujourd'hui en terme de ' rendement commercial '. Ce dernier est le rapport entre les sorties de chais et la surface en production. ' Cette capacité de commercialisation est aujourd'hui de 50 hl/ha pour nos rouges ', note Roland Feredj, directeur du Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux. Ghislain de Longevialle, président de l'Union viticole du Beaujolais, assure : ' Nos douze appellations, depuis 2001 et à l'exception de 2003, ne parviennent pas à vendre plus de 51 hl/ha . ' La prise en compte des réalités commerciales a débouché sur des discussions très tendues.
En Alsace, l'interprofession a fait valoir, fin juin, à l'assemblée générale du syndicat qu'il serait prudent de se limiter aux rendements de base. L'idée d'une suppression du plafond limite de classement (PLC) a provoqué l'exaspération de certains producteurs. ' C'est facile pour les négociants de demander une telle mesure ! Contrairement à eux, nous avons des coûts de production. Il faut bien en tenir compte. Si le négoce ne s'engage pas sur un prix minimum du raisin, avant les vendanges, nous prenons le risque d'une double perte, en volume et en valeur ', faisait valoir, mi-août, un membre de l'Association des viticulteurs d'Alsace. Mais début septembre, son syndicat se rendait à l'avis de l'interprofession, demandant le rendement de base sans PLC pour l'AOC Alsace, soit 80 hl/ha.
Le 23 août, 800 viticulteurs se rassemblaient à Villefranche-sur-Saône pour contester les décisions de l'Union viticole. Ils voulaient la reconduction des rendements de 2004, soit 58 hl/ha pour le beaujolais et 57 hl/ha pour les beaujolais-villages. Début août, l'Union viticole s'était prononcée pour 53 et 52 hl/ha. L'interprofession venait de demander une baisse significative des rendements. Les 800 manifestants se sont réunis à l'appel de l'association Beaujolais tous ensemble. Son vice-président, Daniel Bulliat, de Beaujeu (Rhône), expose : ' Nous sommes contre la baisse des rendements, car cette mesure collective pénalise les exploitations qui s'en sortent. Ce n'est pas parce que je suis contraint de vendre moins que mon voisin vendra plus ! '
Même analyse dans le Bordelais. Roland Feredj, du CIVB, affirme : ' Non seulement il faut prendre en considération les réalités économiques de chaque AOC, mais il faut aussi, à l'intérieur d'une même appellation, tenir compte des spécificités des exploitations . '
Pour beaucoup, l'idéal serait la mise en place de PLC individuels, utilisables selon des critères économiques. Reste qu'en pratique, une telle mesure soulève bien des questions. Comment mesurer le dynamisme commercial d'une exploitation ? Que penser d'une entreprise qui vend toute sa production, mais à des prix cassés ? A qui confier le contrôle des candidats à ce PLC ? Certains puristes estiment même que de tels PLC sont contraires à l'appellation...
L'Inao devait s'emparer de ces questions lors de son Comité national des 7 et 8 septembre.