Inutile de disposer d'énormes moyens pour rester attentif à l'évolution des goûts des consommateurs. C'est une question d'état d'esprit et une affaire de présence sur le terrain.
'Pour connaître les tendances de la consommation, il faut s'en donner la peine, explique Jérôme Quiot, à la tête de 220 ha dont la moitié en AOC Châteauneuf-du-Pape... Il faut aller en permanence sur le terrain ! Un jour sur trois, je rencontre des cavistes et des restaurateurs. Car lorsqu'un produit n'est pas adapté à la demande, les distributeurs ne remontent pas l'information. '
Avant les vendanges, le chef d'entreprise réunit les responsables commerciaux et techniques. Il s'agit de définir les règles de vinification pour coller au goût du marché. Jérôme Quiot et ses cadres parlent de marketing. Ils font le point sur les nouveaux modes de consommation et les tendances en matière d'habillage. Ils analysent la concurrence en pratiquant une ' dégustation espionnage ' de vins achetés à l'étranger. Le responsable commercial explique lesquels collent à la tendance du marché. Le directeur technique détaille les caractéristiques de la récolte à venir. Fort de toutes ces informations, Jérôme Quiot évalue les mesures à prendre durant les vinifications.
Cette surveillance continue du marché, la maison Gabriel Meffre la pratique depuis longtemps. ' Les commerciaux dégustent beaucoup sur le terrain , explique Emmanuel de Salve, directeur de marketing. Autrefois, ils s'adressaient directement aux oenologues pour leur exposer les attentes des clients. Aujourd'hui, ils nous font part des tendances des marchés. Nous les croisons avec nos propres informations issues d'études, de données statistiques ou de panels. '
Emmanuel de Salve est le premier directeur de marketing de ce négociant basé à Gigondas (Vaucluse). Issu de la société Amora-Maille, il est arrivé voilà un an. Depuis, il s'attache à mieux structurer les échanges d'informations. Désormais, les responsables commerciaux, techniques et de marketing se réunissent chaque mois pour faire le point sur les développements en cours ou à venir. ' Lorsque nous sommes d'accord sur les aspects d'un produit à lancer, nous les formalisons sur une fiche qui détaille les éléments de marketing (style de vin, cible consommateur, habillage, positionnement prix, marché cible...) afin que les oenologues responsables des achats comprennent bien le contexte de marché. '
Le document spécifie aussi les caractéristiques organoleptiques et analytiques du vin. Les fournisseurs, voire des directives d'élaboration, y sont répertoriés. Il s'agit d'un véritable cahier des charges. Les acheteurs s'y réfèrent en permanence, ainsi qu'à des échantillons représentatifs du vin en question.
Los 3 Bandidos, le dernier-né de la maison Meffre, a été conçu dans cet esprit. Les vins aux arômes francs et explosifs sont en accord avec l'habillage et le nom, qui évoque trois révolutionnaires mexicains... Exploitant la tendance Tex-Mex, la marque est destinée au marché nord-américain, la France et la Grande-Bretagne.
Malgré cela, on n'atteint pas encore la sophistication du marketing pratiqué dans l'agroalimentaire. En particulier, il n'y a pas eu d'études de marché poussée. Ces études ' sont très coûteuses et les entreprises viticoles ne disposent pas des moyens financiers. C'est pourquoi il faut encore se fier à ses intuitions quant aux tendances de la consommation, car nous n'avons pas les moyens de valider tous les aspects d'un produit avant de le lancer ', remarque Emmanuel de Salve.
Castel, premier vendeur de vin en France, a défini ses bordeaux sur la base de la connaissance du marché de ses équipes. Ce négociant propose deux types de bordeaux. Sous la marque Blaissac, il vend des vins fruités à base de merlot surtout, et de cabernet franc. Sous les marques Malesan et Baron de Lestac, il propose des vins un peu plus structurés issus, en grande partie, de cabernet-sauvignon et élevés en barriques.
' Nous voulons assurer l'approvisionnement de nos marques et garantir une qualité régulière à nos clients ', explique Franck Crouzet, responsable de la communication du groupe Castel. Dans cet objectif, l'entreprise développe, depuis quelques années, des partenariats avec l'amont. ' Nous collaborons avec les viticulteurs qui souhaitent travailler leurs vignobles et leurs vinifications pour produire des vins correspondant à nos marchés. ' Pour chaque marque, Castel explique à chaque producteur son souhait et ses objectifs. ' Nous ne voulons pas imposer un cahier des charges qui s'ajouterait à ceux existants. Nous souhaitons que s'instaure une étroite collaboration ', explique Franck Crouzet. En s'en tenant à l'essentiel, le négociant assure son approvisionnement.