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DOSSIER - Vin de France : C'est parti !

Vin de France C'est parti !

AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°222 - juillet 2010 - page 22

Les uns après les autres, les négociants lancent des vins de France pour profiter de nouvelles libertés d'assemblage ou de l'image de notre pays. Ils assurent que toute la filière profitera de l'intérêt que ces vins soulèvent à l'étranger.
François Lurton, propriétaire de la marque Les Fumées blanches (4 millions de cols par an) « Je vais pouvoir travailler à armes égales avec nos concurrents du Nouveau Monde. » © P.H. ROY

François Lurton, propriétaire de la marque Les Fumées blanches (4 millions de cols par an) « Je vais pouvoir travailler à armes égales avec nos concurrents du Nouveau Monde. » © P.H. ROY

Laurent Delaunay, PDG de Badet-Clément (Côte-d'Or) « La marque phare de l'entreprise reste en IGP Oc sauf pour les cépages rares. » © J.-F. MARIN

Laurent Delaunay, PDG de Badet-Clément (Côte-d'Or) « La marque phare de l'entreprise reste en IGP Oc sauf pour les cépages rares. » © J.-F. MARIN

Nicolas Sinoquet, directeur général d'Uccoar « Toute notre marque Brise de France est passée en vins de France. » © R. GABALDA

Nicolas Sinoquet, directeur général d'Uccoar « Toute notre marque Brise de France est passée en vins de France. » © R. GABALDA

Savoir se faire attendre est - parait-il - le meilleur moyen de séduire. Eh bien, les vins de France ont appliqué avec brio ce principe ! On les attendait avec le nouveau millésime, dès cet automne… Ils débarquent huit mois plus tard, à la fin du printemps.

Autre conseil des séducteurs : créer la surprise. Cela aussi, les petits nouveaux ont su le faire. Lors de la foire de Londres, en mai, ils ont créé l'événement avec le stand de leur interprofession, l'Anivin de France, qui n'a pas désempli. L'opération a conquis la presse britannique qui, élogieuse et unanime, a salué la nouveauté.

Le négoce français a réclamé à cor et à cri les vins de France, ces vins sans indication géographique auxquels on peut ajouter le cépage et le millésime. Aujourd'hui, il joue le jeu. Et pour cause : « Vin de France est une marque ombrelle exceptionnelle », explique-t-on chez Badet-Clément, un négociant basé en Côte-d'Or. « Elle nous donne une meilleure lisibilité à l'export », assure Franck Crouzet, responsable de la communication chez Castel. « Nos acheteurs étrangers accueillent très bien cette nouvelle mention. Elle a un vrai sens », ajoute Bertrand Praz, directeur des achats de Grands chais de France.

C'est donc sans réserve, sans vergogne, ni fausse pudeur que les grands noms se lancent. Les Grands chais de France en tête. Ce négociant basé en Alsace possède JP Chenet, la première marque de vin français au monde. Dès l'automne, il a fait savoir qu'il basculerait ses JP Chenet blancs en vin de France. « Nous avons procédé à la modification sur le marché national comme à l'exportation, explique Bertrand Praz, directeur des achats. En revanche, les rouges ne sont pas concernés pour l'instant : ils restent en vin de pays d'Oc. »

Le responsable justifie cette différence de stratégie : « Autant il est possible et même intéressant d'assembler des sauvignons du val de Loire, de Gascogne ou du Midi ; autant cette pratique n'est pas réalisable pour le merlot, car ce cépage est peu présent ailleurs que dans le Languedoc. »

Une simplification

Tout aussi symbolique que le basculement de JP Chenet, celui de François Lurton. Le négociant originaire de Bordeaux vient de passer sa célèbre marque « Fumées blanches », en vin de France. Il explique : « J'ai besoin de 40 000 hl de sauvignon pour approvisionner mes marchés à l'export. Cela représente la moitié de la capacité de production de la Gascogne dans ce cépage ! Jusqu'à présent, pour faire face à la demande, je commercialisais ma marque sous différentes dénominations : côtes-de-Gascogne, ou bien vin de pays d'Oc, selon les pays… » La nouvelle dénomination lui simplifie donc la vie.

Parmi les autres convertis aux vins de France figure aussi Piat d'or de Diageo, deuxième marque française sur le marché britannique. Tout aussi convaincu : le groupe Patriarche qui vend 70 millions de cols par an dont 40 millions d'effervescents. Le spécialiste de la cuve close déclare même avoir pris son parti : plus de vin de cépage avec indication géographique pour les marchés à l'export. Julien Lepont, responsable marketing du groupe, ne cache pas sa satisfaction à propos de la nouvelle réglementation : « Avant, il nous fallait immobiliser les effervescents six mois en cave, pour avoir droit de mentionner le cépage dessus ! Plus maintenant. »

Chez Uccoar, c'est la marque phare du groupe coopératif, Brise de France, qui bascule. Jusqu'à présent, elle était produite en vins de pays d'Oc. Elle est désormais présentée en vin de France. C'est aussi l'occasion de lancer une nouvelle marque : L'estaminet. Celle-ci comprend un chardonnay, une syrah rosé et un merlot. Se voulant pratique, elle se décline en bouteille avec capsules à vis, en Tetra pack de un litre et en bib de 3,5 et 10 litres. « Son prix est similaire à ce que nous aurions fait en vin de pays d'Oc, soit environ deux euros le col », précise Nicolas Sinoquet, directeur général du groupement.

Castel qui possède un très large portefeuille de marques, adopte une stratégie un peu plus complexe que ses confrères. Chez ce négociant, il n'est pas à l'ordre du jour de basculer en vin de France la marque de vins de cépage Roche Mazet, leader dans sa catégorie avec 24 millions de cols par an. « Nous restons en vins de pays d'Oc, assure Franck Crouzet. Nous avons développé des qualités qui plaisent et nous avons amplement communiqué sur l'origine de ces vins. Ces deux éléments constituent la base de notre stratégie. Cela marche. Ce n'est pas le moment de changer. D'autant que ces produits commencent à bien fonctionner à l'export. » Pas de bascule donc pour Roche Mazet. Mais en revanche, le négociant basé à Blanquefort (Gironde) lance des vins de France de cépage au sein de sa marque Famille Castel. L'étiquette de ces derniers-nés casse certains codes : le nom de la marque, la dénomination « vin de France » et le nom du cépage apparaissent dans des caractères de même taille. Une aisance de lecture appréciable pour les non-connaisseurs. Ce produit est d'ailleurs réservé aux marchés à l'export et aux circuits de la grande distribution.

Vieux papes et Cambras valorisés

Castel ajoute que la nouvelle réglementation va aussi profiter à ses vins de table d'assemblage que sont Vieux papes (environ 20 millions de cols) et Cambras (15 millions de cols). Désormais, ils bénéficient de la mention vin de France. « C'est bien plus valorisant que vin de table, explique Franck Crouzet. Et nous pouvons mentionner le millésime. Ce sera un plus à l'exportation. »

Même stratégie de segmentation chez le négociant Badet-Clément, basé à l'Etang-Vergy, en Côte-d'Or. La marque phare de l'entreprise dénommée « Les Jamelles » reste en vins de pays d'Oc. « Nous avons toujours communiqué sur son ancrage en Languedoc, explique Emmanuel de Salve, le directeur marketing. Le nom même de la marque fait référence à un terroir de la région. » Pas question donc de changer une formule qui marche.

Seule entorse à la règle : la marque se trouve agrandie d'une gamme baptisée « Les Jamelles rare et antique ». « Il s'agit de cinq vins de cépage oubliés ou méconnus », explique le responsable. Sont prévus pour septembre : un macabeu, un carignan, un bourboulenc et un alicante. Le carignan vient du Languedoc. Mais on ne peut pas le revendiquer en pays d'Oc, alors que c'est permis en vin de France.

Promenade : un nouveau venu

Autre argument avancé par Emmanuel de Salve : « Certaines de ces variétés sont peu cultivées. Il est préférable de prévoir la zone d'approvisionnement la plus large. » Les petits nouveaux devraient trouver leur place chez les cavistes avec un prix public autour de 7 à 7,50 euros le col. Preuve que la catégorie vin de France ne joue pas uniquement sur l'entrée de gamme…

A côté de sa marque Les Jamelles, le négociant opte pour une bascule de ses vins de cépages certifiés en agriculture biologique. « Grâce à cela, nous aurons une plus grande souplesse dans l'approvisionnement. Cela servira la qualité des vins », affirme Emmanuel de Salve.

Dernier volet de la stratégie Badet-Clément, le négociant vient de lancer une nouvelle marque en vin de France : La Promenade, pour la grande distribution internationale. Son porte-parole explique : « Nous avons créé une gamme de vin de cépages qui joue sur l'art de vivre français… Nous avons travaillé avec une agence australienne pour recenser les standards qui évoquent positivement la France ». A croire que la nouvelle réglementation stimule l'imagination du négoce français.

Pas de baisse des prix

A propos des contrats avec la production, tous les négociants interrogés se montrent rassurants. Castel déclare qu'il a l'équivalent de 2 000 hectares de partenariat en Languedoc pour approvisionner sa marque Roche Mazet. « Nous ne comptons pas changer nos habitudes », assure Franck Crouzet.

Aux Grands chais de France, on garantit que « les accords triennaux passés ne sont pas remis en cause ». Le négociant déclare même « vouloir développer ses partenariats ». Même son de cloche auprès de François Lurton. Celui-ci explique avoir « deux niveaux de prix selon la qualité des vins proposés » et il ne compte pas modifier ses pratiques.

Les acheteurs vont-ils se servir de la possibilité de s'approvisionner dans différents bassins de production pour les mettre en concurrence ? Vont-ils faire baisser les prix ? Une partie de la production le redoute. Les acheteurs jurent qu'ils n'en ont pas l'intention. « Un approvisionnement plus large ne permet pas de tirer les prix vers le bas, soutient Bertrand Praz. Nous achetons nos sauvignons a peu près au même prix dans le Val de Loire et dans le Midi. »

« Je vais avoir un bouquet d'arômes »

Les négociants promettent même l'inverse. A les entendre, l'assemblage de cépages de différentes régions leur permettra de composer des vins de qualité plus constante et en phase avec les attentes des consommateurs. Leurs débouchés seront donc plus assurés. Cela profitera aux producteurs. François Lurton résume sa satisfaction ainsi : « Mes vins vont gagner en qualité. Je vais avoir un bouquet d'arômes à ma disposition. Entre le côté un peu herbacé d'un sauvignon du Val de Loire et les notes citronnés d'un sauvignon des Charentes, mes assemblages vont gagner en complexité. »

« La constance dans la qualité et le goût est essentielle pour une marque », résument Castel et Grands chais de France. « On va enfin travailler avec des outils propres à concurrencer les marques du Nouveau Monde », précise un troisième.

Bref, à entendre les acheteurs, la nouvelle catégorie n'a que des atouts. A tel point qu'elle pourrait bouleverser le paysage viticole français… « Il faut juste s'assurer que ce qui est vendu sous la mention vin de France est de qualité. Pour l'instant, c'est le cas », avance un négociant et d'ajouter sous couvert d'anonymat : « L'autre problème, c'est la cohérence. Dans certaines régions, on reçoit des échantillons de vins d'AOC qui ne valent pas certains lots de vin de France. Quand on sait les règles que se posent ces mêmes AOC, il risque d'y avoir des remises en question. »

Des vins nés avec la dernière OCM

Juridiquement, les vins de France sont des vins sans indication géographique (IG), catégorie qui remplace les vins de table depuis la nouvelle OCM. Pour mentionner l'origine de ces vins sans IG, la réglementation européenne impose d'utiliser « vin de », « produit de » ou « produit en » complété par le nom de l'Etat membre où les raisins sont récoltés. L'Anivin, l'interprofession des vins sans IG, recommande à tous les opérateurs d'utiliser vin de France, ce qu'ils font. Par rapport aux vins de table, les vins de France ont droit de mentionner le cépage et le millésime. Autre nouveauté de taille : la chaptalisation. Elle est autorisée pour les vins sans IG…

La réglementation européenne impose aussi aux Etats membres « de s'assurer de la véracité des informations données sur ces vins », en clair de vérifier l'exactitude de la mention du cépage et du millésime. Pour respecter cette exigence, en France, une circulaire du 10 novembre 2009 instaure une habilitation des metteurs en marché auprès de FranceAgriMer. Fin mai, 1 023 opérateurs avaient ainsi fait l'objet d'un enregistrement. Cette déclaration ouvre la possibilité du contrôle documentaire destiné à s'assurer de la traçabilité des cépages et millésimes. Les frais inhérents à ces vérifications sont à la charge de l'opérateur.

Ils sont forfaitaires et varient en fonction du volume mis en marché. Ils sont compris entre 50 euros et 350 euros. Un fraudeur peut perdre son habilitation. Il ne pourra alors plus vendre de vins de France de cépage.

Sans IG mais pas sans idée

La règle du 85-15 s'applique aux vins de France. Un opérateur peut mentionner un cépage, dès lors qu'il compose au moins 85 % de l'assemblage. De quoi baisser le prix de revient d'un vin. Petit cas pratique. « Imaginez un vin de cépage chardonnay vendu sous la dénomination Pays d'Oc, explique un opérateur. Le metteur en marché peut assembler 85 % de chardonnay acheté à 90 euros/hl avec 15 % de chasan, autre cépage blanc du midi vendu à 70 euros/hl. Le lot de vin assemblé lui reviendra à 87 euros l'hl et sera vendu sous la mention Pays d'Oc chardonnay. Mais notre opérateur aurait meilleur intérêt à passer sa marque en vins de France. Dans cette hypothèse, il pourra assembler du chardonnay du Midi et du Val de Loire à un prix moyen d'environ 80 euros/hl. Il ne lui restera plus qu'à l'allonger avec 15 % d'ugni blanc, vendu à 20 euros/hl cette année. Le lot ainsi assemblé lui reviendra environ à 71 euros/hl, soit une baisse du prix d'achat de 16 %. Et il pourra le vendre sous la mention Vin de France Chardonnay. » Les négociants vont-ils utiliser cette possibilité ? Grands chais de France assure que ce n'est pas d'actualité. Castel aussi. Leurs vins renferment 100 % du cépage mentionné sur l'étiquette. D'autres préfèrent ne pas répondre.

François Lurton fait partie des exceptions et explique que son sauvignon « Les Fumées blanches » comprend 10 % de colombard pour des raisons qualitatives. Tous expliquent que l'intérêt des vins de France est qualitatif. Les acheteurs qui opèrent dans cette catégorie sont protégés d'une mauvaise récolte dans une région. Si une année, les sauvignons du Val de Loire sont médiocres, ils pourront être assemblés avec ceux du Midi. On le voit, la donne change. D'aucuns déplorent une « tambouille » propre à « tromper » le consommateur. On peut aussi y voir un moyen de produire plus librement des vins qui n'ont pas d'autres choix que de plaire aux consommateurs s'ils veulent durer. Gageons que le débat ne fait que commencer…

Le Point de vue de

Jean-Paul Barral, directeur de la cave coopérative de Montblanc (Hérault) 120 000 hl produits par an, 370 coopérateurs

« Si le négoce joue le jeu, notre revenu devrait s'améliorer »

 © P. PARROT

© P. PARROT

« C'est tout récemment que nous avons vu arriver des demandes d'achat en vin de France. Jusqu'à présent, nous en entendions peu parler. D'ailleurs, à la cave, lors de la dernière récolte, j'ai procédé comme d'habitude. J'ai déclaré en vins avec Indication géographique pays d'Oc tout ce qui pouvait l'être. Cela représente environ 75 000 hl. Je n'ai procédé aux demandes d'agrément qu'au fur et à mesure des contrats d'achats, comme je le fais toujours. La campagne s'est déroulée normalement jusqu'au début du printemps. Puis, les premières demandes d'achat de vins sans indication géographique avec mention du cépage sont apparues.

Fin mars, j'ai eu un premier contrat. Depuis, tous les négociants avec lesquels je travaille s'y sont mis. Je pense que mes interlocuteurs ont attendu d'écouler leur stock d'étiquettes avec la mention pays d'Oc pour passer commande de vins sans IG avec la mention de cépage. Je crois aussi qu'ils attendent de savoir comment vont s'organiser les linéaires des grandes surfaces – et où vont se placer les vins sans IG avec mention de cépage – avant de basculer en vin de France certaines de leurs grosses marques françaises. A l'export, ils se posent moins de question car la mention « vin de France » est valorisante.

En tant que directeur de cave coopérative, je crois beaucoup dans cette nouvelle catégorie. Elle devrait nous permettre de produire un peu plus, sans rien changer à la qualité, donc en espérant au même prix. Sur les rouges, nous avons un potentiel de progression d'environ 10 à 15 hl/ha. Pour les blancs et les rosés, nous pouvons pousser de 20 hl/ha sans incidence sur le produit fini. Certes, cette hausse des rendements ne va pas se faire du jour au lendemain. Il va falloir travailler la vigne différemment, changer certaines pratiques… Par exemple, ces dernières années, les producteurs ont économisé sur la fertilisation. A l'avenir, ce ne sera pas le bon calcul… De même, il va falloir réfléchir aux choix des cépages… On ne peut pas attendre la même chose d'une syrah en coteaux et d'un cinsault… Mais j'ai bon espoir. Cette hausse des rendements devrait améliorer le revenu des producteurs, du moins si les négociants jouent le jeu et rémunèrent comme il se doit la qualité des vins. Pour le moment, c'est le cas. Par rapport à la moyenne de mes ventes en IGP Pays d'Oc Merlot, je suis même parvenu à vendre plus cher de trois euros par hectolitres, un lot de Merlot sans IG ! Aujourd'hui, je ne vois que des avantages avec la nouvelle catégorie. D'abord, elle est synonyme de baisse des coûts. L'an passé, la cave a dépensé 68 000 euros en frais d'agrément en vins de pays d'Oc. Là, cela va me coûter moins de 400 euros en vins de France ! C'est une belle économie. C'est aussi plus de souplesse dans la relation commerciale. En IGP pays d'Oc, les agréments démarrent dans les dix premiers jours de novembre. En moyenne, il faut attendre trois semaines entre la demande d'agrément et l'obtention du certificat. Pour certains négociants, c'est long…

Avec des vins de France, dès que les vins sont prêts à être consommés, on peut procéder à l'enlèvement.

Ce qu'il faut souhaiter, c'est que les vins de France restent de qualité.

On a tous à y gagner. »

Cet article fait partie du dossier Vin de France : C'est parti !

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