Pour rééquilibrer son marché, Bordeaux veut arracher 10 000 ha. Retour sur une décision traumatisante, mais inéluctable, avec Xavier Carreau, l'un des responsables professionnels qui a contribué à la faire adopter.
C'est un terrible constat d'échec. Bordeaux espère l'arrachage de 10 000 ha de vigne en trois ans, pour lequel 130 millions d'euros ont été budgétisés. ' Même si elle est traumatisante, la décision est inéluctable, regrette Xavier Carreau, vigneron et ex-président de la Fédération des grands vins de Bordeaux. Chacun a sa part de responsabilité : les viticulteurs, les négociants et les responsables professionnels, car tout le monde a poussé à planter. On a manqué de lucidité sur la politique de base. '
A partir de 1994-1995, la forte demande en vins de Bordeaux encourage à planter. En 1997, l'interprofession décide d'un plan pour 10 000 ha, à raison de 2 500 ha par an. La conversion du vignoble blanc en rouge concerne 5 000 ha supplémentaires.
Des signes avant-coureurs de difficultés se présentent avec l'abondante récolte de 1999, doublée de l'entrée en production importante des vignobles du Nouveau Monde et de l'Espagne. Les responsables professionnels en prennent conscience, ' mais on est dans l'euphorie de fin de siècle. On boit et on consomme partout dans le monde, poursuit Xavier Carreau. En 2000 et 2001, c'est l'engorgement. On met le pied sur la pédale de frein. Mais c'est trop tard. '
Deux petits millésimes en 2002 et 2003 retardent l'échéance. Sans faire l'unanimité, le principe de l'arrachage est acté en juin 2003 comme une orientation possible par l'interprofession et la Fédération des grands vins de Bordeaux. Xavier Carreau et Christian Delpeuch, président du CIVB, s'informent sur le montant de la prime accordée par Bruxelles : il s'élève à 6 300 euros, compte tenu des rendements à Bordeaux. C'est insuffisant. Il faudrait atteindre le coût d'une plantation à densité normale de 4 000 pieds/ha, soit un total de 15 000 euros.
Début 2004, ils cherchent des partenaires financiers pour accompagner les mesures. ' Nous avons eu des déceptions, notamment de la part de la Gironde et de l'Aquitaine. Ils ont proposé des critères d'éligibilité trop stricts. ' Les aides complémentaires départementales et régionales ne sont accordées qu'aux exploitants âgés de plus de 55 ans, dont la surface est inférieure à 5 ha et sous certaines conditions. Si bien que l'arrachage en 2004-2005 ne fait pas recette.
Mais l'abondante récolte 2004 accentue le décalage entre les capacités de production (de 7 Mhl) et de commercialisation (de 5,5 Mhl). L'interprofession prend le taureau par les cornes. Elle décide de souscrire un emprunt de 60 Meuros pour compléter les primes, à hauteur de 15 000 euros/ha en 2005-2006, puis de 12 000 euros/ha en 2006-2007.
Rendez-vous est pris auprès du ministère de l'Agriculture, car l'Etat doit se porter garant de l'emprunt. Tout est réuni pour que l'arrachage décolle. Les vignerons ont reçu, en septembre, un bulletin d'informations pratiques. Ils peuvent déposer leurs dossiers pour la campagne 2005-2006 jusqu'au 31 décembre 2005. Une semaine après la mise à disposition des dossiers, l'Onivins en a déjà distribué 800. Désormais, les choses devraient aller vite !