Le couple Clairet ne veut plus agrandir son domaine pour rester à taille humaine. Ses clients hésitent de plus en plus à goûter leurs vins. Mais il fourmille d'idées pour les inviter à se laisser tenter, en toute sécurité.
Evelyne et Pascal Clairet, âgés de 37 et 44 ans, ont créé le domaine des Tournelles, à Arbois (Jura). Dès le départ, en 1991, ils ont choisi la vente directe. Pour réussir, il leur a fallu ' produire du vin de qualité ' et bâtir un réseau commercial.
Leur domaine compte aujourd'hui 6 ha en production, dont 4,5 ha en propriété, moitié en blanc, moitié en rouge. Les Clairet proposent la gamme complète du Jura (blanc, rouge, jaune, crémant, vin de paille...), soit douze cuvées. Ils vendent leurs vins entre 6 et 25 euros TTC la bouteille, à la cave. Ils ne souhaitent pas s'agrandir. ' Nous n'avons pas besoin de recruter. 6 ha, c'est le bon équilibre pour vivre correctement, tout en assurant la pérennité du domaine ', affirme Pascal Clairet. Toutefois, dans l'optique d'une transmission à leurs enfants, ils envisagent l'achat de quelques parcelles de beaux terroirs qu'ils donneraient en location.
Avant d'être vignerons à temps complet, tous deux ont été doubles actifs quelques années, Pascal à Arbois, Evelyne dans les Côtes du Rhône comme conseillère viticole.
Pascal a commencé en 1991, avec 80 ares de chardonnay. En 1993, pour 6 000 euros, il aménage un chai qu'il utilise toujours. Il installe des cuves en fibre de verre et un système de refroidissement basique, composé d'un tank à lait et de drapeaux. En 1995, Pascal s'installe à temps complet. Le domaine atteint 4,5 ha de vignes loués ou en propriété. Le couple achète une maison vigneronne avec une cave de vieillissement, et y aménage un caveau d'accueil. Il emprunte 300 000 euros.
Evelyne arrive à temps complet en 2000 et se charge de la commercialisation. Elle tient le caveau, réfléchit aux orientations possibles, se penche sur les actions de communication. Pascal peut ainsi se consacrer à la culture de la vigne, afin de maîtriser les rendements à 40 hl/ha. Il enherbe un rang sur deux. Depuis 2002, il ne désherbe plus, mais travaille le sol avec des interceps quatre fois par an. ' Le sol est aéré, il n'y a plus de ravinement. ' Evelyne et Pascal prennent toutes les décisions ensemble.
Les vendanges sont manuelles. Depuis 2005, elles sont réalisées dans de petites comportes de 30 kg, car les raisins sont ' moins tassés '. Pendant les vendanges, Evelyne réceptionne et démarre les vinifications. Elle entonne les blancs en fûts de cinq à quinze vins, lorsque la densité est tombée vers 1 035, afin de bien démarrer les fermentations. Les vendanges terminées, Pascal la rejoint. Ils élèvent les blancs sur lies, allant jusqu'à trente-six mois pour le savagnin de voile, non ouillé, oxydatif. Le vin jaune vieillit six ans et trois mois en fûts, comme le veut la réglementation. Ils élaborent également deux savagnins ouillés, une alternative à la tradition oxydative qui séduit les consommateurs.
Pour proposer un rouge plus fruité, depuis 2004, le domaine pratique une macération carbonique sur le poulsard. Cette cuvée est destinée à être bue immédiatement. Elle n'est sulfitée qu'à la vendange (à 3-5 g/hl) et mise en bouteilles dans les trois-quatre mois. Deux autres cuvées de rouge à base de trousseau sont vinifiées en cuve et élevées en foudres de 33 hl pendant douze mois. Mais comme le marché des rouges est tendu, le couple a décidé de transformer 20 ares de poulsard en savagnin, en 2005 et en 2006.
Côté commercial, ils ont démarré grâce à trois salons annuels en Belgique. Tous les ans, ils sont cités dans le Guide Hachette et le Guide Fleurus, depuis son lancement en 2004. Après l'arrivée d'Evelyne, ils ont intégré un réseau de salons professionnels très ciblés d'une trentaine de vignerons (Oullins près de Lyon, Groslay en région parisienne...). Résultat : la part des ventes aux particuliers est descendue de 90 à 60 % au profit de la restauration. En 2003, ils ont aussi décroché des marchés au Japon et au Canada. Mais les salons ne suffisent pas.
Depuis 1996, ils proposent à leurs clients des visites guidées dans les vignes et des soirées mets-vins ' pour aller plus loin que la simple dégustation au caveau '. Elles connaissent un tel succès que les Clairet refusent du monde. Malgré cela, pour la première fois depuis la création du domaine, le chiffre d'affaires a marqué le pas en 2004-2005. ' La répression de l'alcool au volant fait qu'au caveau, les clients ne veulent plus boire, même une gorgée ', regrette Evelyne.
Or, un nouveau visiteur qui ne goûte pas n'achète pas. A l'inverse, s'il goûte, il achète sur place et recommandera plus tard. ' Nous devons donc les convaincre qu'ils peuvent déguster deux ou trois fonds de verre sans problème. Dans cette optique, nous allons nous équiper d'éthylotests. '
Toujours pour ' inciter à goûter ', en 2006, ils aménageront un bar à vin dans leur jardin. L'idée est d'installer confortablement ' pour un moment de détente et de plaisir ' ces amateurs qui refusent de déguster par peur de la répression. Le bar proposera la production du domaine au verre. Il sera ouvert de 16 à 21 h tous les jours de la saison estivale. ' La qualité des vins doit primer mais, ensuite, il faut être polyvalent. Rien n'est à négliger ', affirment-ils.