Face à la mévente, de nombreux vignerons s'investissent à fond dans la commercialisation.
'Le schéma d'autrefois, où le vigneron produisait et le négoce vendait, a vécu. Désormais, les producteurs vont devoir s'occuper de l'aval. ' Les propos d'André de la Bretesche, directeur du Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieur, sont applicables à tous les viticulteurs des régions en crise. Ce dossier a permis d'aller à leur rencontre. Avant de retenir cinq témoignages, nous avons interviewé une quinzaine de vignerons du Beaujolais, du Bordelais, de la vallée de la Loire et du Languedoc. Tous ont dû faire face, ces cinq dernières années, à un violent retournement de situation. Confrontés à une chute des cours du vrac ou à une perte de marché, en grande distribution ou à l'exportation, ils ont connu la peur de ne pas s'en sortir. Le doute de ne pas y arriver et leur découragement se sont exprimés au travers de ces formules : ' J'ai failli jeter l'éponge ', ' J'ai pensé mettre la clé sous la porte ', ' J'ai cru que j'allais devoir changer de métier '... Pourtant, tous ont décidé de se battre. Leur traversée du désert a duré plus ou moins longtemps. Plusieurs interviewés n'en étaient pas encore sortis !
Une viticultrice de Touraine, en procédure Agridiff en 1993, estime qu'il lui a fallu ' dix ans pour recueillir les fruits de son investissement commercial '. Une autre du Bordelais témoigne qu'en un an, elle a changé sa vision du monde viticole : ' En démarchant les clients professionnels, j'ai pris conscience de la quantité importante de châteaux dans la région. J'ai compris que nous étions dans une vraie guerre commerciale. Je n'ai plus d'illusion. Si je décroche un marché, c'est que j'ai pris la place de quelqu'un d'autre. '
Ceux qui sont parvenus au bout du tunnel ont dû prendre des décisions difficiles : réduire la surface de production pour dégager de la trésorerie et du temps pour la vente, changer de façon radicale leur emploi du temps, et donc parfois leur vie familiale, investir dans des salons ou dans leur packaging... Bref, qui dit décision délicate dit prise de risque : c'est la mise en bouteilles de la production jusqu'alors vendue en vrac, c'est le fait de dire non à son négociant parce qu'il propose un prix trop bas... ' Même si le choix est toujours réfléchi, on n'est jamais sûr d'avoir fait le bon. Il faut attendre pour savoir. Cette période est stressante ', reconnaît un producteur bordelais.
Les cinq témoignages reposent sur des expériences différentes, mais toutes positives puisque les ventes se sont stabilisées, voire développées. Leurs enseignements sont concordants. Tout d'abord, ils font apparaître qu'en temps de crise, il faut se serrer les coudes. Que ce soit en famille, entre collègues ou au sein du conseil d'administration de la coopérative, tous ces vignerons ont su faire cause commune. Pour reprendre l'expression d'un expert, ' dans la chasse aux marchés, mieux vaut partir en meute que faire cavalier seul '. En second lieu, les exemples retenus montrent qu'il ne faut pas hésiter à prendre conseil auprès des professionnels de la vente. C'est ce qu'ont fait Martine Pages, Jérôme Gourraud et Les Vignerons du Roy René. Dernière leçon à tirer de ces témoins : ne jamais s'endormir sur ses lauriers commerciaux. Il faut toujours prospecter de nouveaux marchés.