ImprimerDe plus en plus, les négociants retirent des petits volumes et à tout moment de l'année. Pour ne pas laisser des cuves en vidange, les caves doivent reloger les vins. Certaines achètent des petites cuves, d'autres investissent dans l'inertage.
'Il y a quelques années, dès le mois d'octobre ou novembre, on avait vendu toutes nos cuves ! Ensuite, les négociants les retiraient progressivement. Maintenant, une partie du négoce attend le dernier moment pour acheter au prix le plus bas. Ce négoce représente un tiers de nos ventes. Pour lui, le marché se fait toute l'année. Il commande ce qu'il veut, quand il veut. On avale bien des couleuvres ! Et on n'est pas en mesure d'exiger quoi que ce soit, ni période, ni volume minimum de retiraison... '
Le constat de ce directeur de coopérative en Languedoc est largement partagé. ' Les négociants achetaient par précaution, dit un vigneron. Maintenant, ils achètent par opportunité ', donc de manière imprévisible. ' Ce matin, on est venu nous prendre 50 hl de rosé sur une cuve de 1 000 hl , dit Jean-Luc Trinquier, directeur de la cave des Six clochers, à Puilacher (Hérault). Je monopolise une personne pendant une demi-journée pour reloger 950 hl. Ces retiraisons, de plus en plus fréquentes, demandent plus de travail en cave. Il faut laver les cuves, en préparer d'autres. '
La cave de Puilacher regroupe 900 adhérents et produit 180 000 hl de coteaux-du-languedoc, vins de pays et de cépages. Elle a l'habitude de travailler sur de gros volumes. Elle n'est pas équipée pour transférer de petites quantités. ' On a des manches de 70 mm, alors qu'il faudrait du diamètre 30 ou 40 pour être précis. On y arrive, mais là encore, cela complique tout. '
Un négociant peut venir n'importe quand. Dès qu'il a une commande, il vient déguster. Le lendemain, il peut envoyer un camion pour retirer le vin sélectionné. Autant dire que toute l'année, le vin doit être prêt. Face à cette nouvelle situation, la cave de Puilacher a trouvé une parade. ' On colle et filtre à l'avance 1 000 à 2 000 hl de vins rosé et rouge. '
Certaines caves optent pour une cuverie mieux adaptée. Celle de Bizanet (Aude), qui produit 45 000 à 50 000 hl, dispose de grosses cuves en béton, de 400 hl en moyenne, datant des années trente à soixante. ' Autrefois, les négociants retiraient ces cuves en deux voyages. Petit à petit, ils se sont mis à enlever 250 hl seulement et ne venaient charger le reste que plusieurs semaines plus tard, explique le directeur Christian Boulouis. Il a fallu que l'on reloge des vins. Or, les cuves fréquemment utilisées doivent être d'une hygiène parfaite. On a donc revêtu de résine époxy une dizaine de cuves d'une contenance de 50 à 200 hl. Ainsi, on a pu les remplir de blanc après qu'elles aient stocké du rouge, sans le risque de tacher les vins. '
Ensuite, la cave s'équipe d'une dizaine de cuves fermées, en fibre de verre, de 50 et 100 hl. Puis au cours des années 2001 et 2002, elle achète quatre cuves à chapeaux flottants, de 150 hl. ' Cela nous évite d'avoir des cuves en vidange avec le risque que les vins s'oxydent. On peut y stocker le vin jusqu'à trois semaines en été et un mois et demi en hiver. '
Pour prévenir tout risque d'altération, la cave a resserré la fréquence des contrôles analytiques. Avant un relogement, elle vérifie le taux de SO 2 libre, pour le réajuster si nécessaire et éviter que le vin ne souffre du contact à l'air. ' On a besoin d'autres cuves, mais le coût nous fait reculer ', explique Christian Boulouis.
' Lorsque le prix de vente du vin est inférieur à son coût de revient, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, c'est une folie d'investir dans de la cuverie ! remarque Xavier de Volontat, propriétaire du Château Les Palais (Aude) et président des Vignerons indépendants de France. Et les banques ne soutiennent plus ce genre d'investissements. '
A Soussac, dans l'Entre-deux-Mers, le GFA La Garrousse vend toute sa production en vrac au négoce (6 000 hl de quatre appellations). En 1980, à la construction de son nouveau chai, Roger Chavelard choisit des cuves de 270 hl, volume correspondant au chargement d'un camion citerne.
Depuis deux ou trois ans pourtant, il se voit contraint d'accepter des marchés de 75 hl ou même 45 hl.
' On a six garde-vin. Il nous en faudrait quatre fois plus. Mais comme c'est un investissement à fonds perdu, on recule le plus possible le moment de le faire. En attendant, le vin risque surtout de s'altérer. ' Alors, pour éviter tout accident, la meilleure tactique serait de faire coïncider le volume commandé avec celui disponible en cuverie pour le relogement. Quand une commande ne correspond pas, il la refuse. ' Il m'est arrivé de perdre des marchés. Mais la plupart du temps, le négociant accepte de modifier sa commande en arrondissant à un volume supérieur ou inférieur ... '
La seule solution reste, d'après Xavier de Volontat, d'instaurer des partenariats avec le négoce, et de définir des conditions de paiement et de retiraison. ' Aujourd'hui, les contrats signés n'engagent plus personne. Il faudra bien revenir à ce qui se pratiquait avant : le négociant qui réserve une cuve ou un lot verse un acompte, de 10 à 15 %, à la signature du contrat. Cette pratique est couramment admise pour tout autre achat, pourquoi pas pour le vin ? ' s'interroge Xavier de Volontat.
