ImprimerLes négociants travaillent de plus en plus en flux tendu. Ils étalent leurs enlèvements. Certains demandent aux caves de prendre en charge le stockage et le relogement de vins qu'ils ont achetés. D'autres les chargent de préparer les vins avant la mise en bouteilles.
«Depuis quelques années, les délais de retiraison s'allongent. Nous devons assurer la conservation des vins durant l'été, ce qui n'était pas le cas avant. Cela engendre des coûts supplémentaires », constate Nicolas Gornes, l'oenologue responsable du suivi de la qualité à la coopérative Sieurs d'Arques, à Limoux (Aude). Cette cave travaille en partenariat avec des négociants. Dans sa gestion de cuverie, elle tient compte des plannings d'enlèvements qu'ils lui communiquent. « Nous logeons les vins que nous allons garder durant l'été dans les parties les plus fraîches de la cave. Nous contrôlons les températures. A partir de juin, nous utilisons des drapeaux pour conserver les vins à 18-19°C. »
Autre changement, les négociants travaillent souvent de plus en plus en flux tendu. Ils retirent en plusieurs fois les cuves achetées ou réservées selon leurs propres ventes. De ce fait, Sieurs d'Arques doit assurer le relogement de vins pourtant vendus. Cela entraîne aussi des coûts supplémentaires, qui ne sont pas pris en compte. « Nous avons rénové une batterie de petites cuves en béton pour assurer de bonnes conditions de conservation, et nous sommes organisés pour les refroidir », précise Nicolas Gornes. Les vins en vrac destinés à la France partent le plus souvent bruts. « Nos acheteurs les assemblent et les préparent eux-mêmes. Ils estiment qu'ils maîtrisent mieux leurs coûts chez eux . » A l'exportation, les demandes des acheteurs vont du collage jusqu'à la filtration sur membrane. « Nous sommes équipés pour répondre à ces demandes. »
A Lançon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), les frères Tobias dirigent le Domaine de la Cadenière. Ils cultivent 70 ha en appellation Coteaux d'Aix. Leur principal acheteur est le Cercle des vignerons de Provence, un groupement de producteurs qui commercialise 220 000 hl de rosés. Il vient embouteiller leurs vins à la propriété et les vend sous le nom de leur domaine. Sa fonction est la même que celle d'un négociant.
« Nous devons faire toute la préparation des vins. Le groupement nous prête une centrifugeuse pour les clarifier et nous paye toutes les fournitures », explique Gabriel Tobias. Les délais sont souvent très courts. Les frères Tobias travaillent alors dans l'urgence pour les respecter. Ils sont aussi équipés pour faire face à la pointe de travail qu'ils ont en juin, juillet et août, période de l'année où se concentrent les enlèvements. Cette réactivité fait partie du service qu'ils rendent à leur acheteur.
Au bout de la chaîne, les grandes surfaces ne veulent plus stocker le vin. Elles passent leurs commandes au dernier moment. Pour éviter de travailler en flux tendu avec ces grandes surfaces, la solution serait de constituer un stock tampon de vins en bouteilles. « Le groupement envisage d'investir dans un chai de stockage climatisé. Mais cela augmentera ses charges sans qu'il vende plus cher pour autant », déplore Gabriel Tobias.
Pour préserver la couleur des rosés durant l'été, ils ont dû climatiser leur chai. « Nous mettons en route les groupes de froid dès le mois d'avril. Cela a un coût, qui n'est pas pris en compte. Au sein du groupement, nous sommes payés au même prix que ceux qui ne refroidissent pas leurs vins », ajoute-t-il.
La cave Les vignerons de Saint-Maurice produit 100 000 hl. Elle vend la quasi-totalité en vrac à trois partenaires. « Nous devons prendre en charge le stockage sur de longues durées, et garantir la conservation des vins. Avant, les acheteurs s'arrangeaient pour retirer des cuves entières, mais aujourd'hui, nous devons assurer le relogement. Nous nous sommes équipés d'une batterie de cuves et de systèmes d'inertage , explique Hervé Lévèque, directeur de cette coopérative, basée à Saint-Maurice-de-Cazevieille (Gard). Nos acheteurs ont pu augmenter leur volume commercialisé sans construire de nouveaux chais. C'est nous qui assumons les investissements, le travail et les risques liés à la conservation. En juin, juillet et août, nous faisons tourner les groupes de froid pour garder les vins à 16°C. »
Depuis deux ans, les blancs et les rosés doivent être collés. « Demain, ils vont nous demander de clarifier et de stabiliser tous les vins. Sur la traçabilité, ils nous mettent la pression. Nous avons une personne qui travaille à temps plein là-dessus. Tout cela entraîne des coûts en plus, alors que les prix de vente diminuent. »
En fusionnant avec une autre coopérative, la cave a limité ses charges et a répondu aux besoins des acheteurs. « Ils nous mettent en concurrence sur les services, et veulent trouver des lots importants et homogènes au même endroit. Ils font face à des grandes surfaces qui demandent le prix avant même d'avoir dégusté le vin. Pour réduire leurs coûts, ils se réorganisent et nous demandent d'en faire autant. »
