Le code de la santé publique interdit aux professionnels de la restauration de servir à boire à des personnes manifestement ivres. La Cour suprême donne une interprétation stricte du texte.
Le droit pénal réprime l'ivresse publique. Le code de la santé publique consacre un chapitre entier à ce fléau. Aux termes de son article R. 3 353-2, ' le fait pour le débitant de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leur établissement est une contravention de la 4 e catégorie '. Selon l'article 131-13 du code pénal, l'amende peut aller jusqu'à 750 euros. Lorsque l'accident survient, d'autres textes pénaux trouvent à s'appliquer et le risque encouru est pire ! Reste que les faits sont soumis à l'interprétation des juges. Le 23 février dernier, les juges dracénois (Var) ont prononcé une peine qualifiée d'exemplaire par la presse. Le propriétaire d'un restaurant du haut Var avait servi des apéritifs à un conducteur ivre qui avait provoqué, moins d'un kilomètre plus loin, un accident mortel. Poursuivi pour ' homicide involontaire par violation délibérée d'une obligation de sécurité et de prudence, blessures involontaires (...) vente de boissons par un débitant à une personne manifestement ivre ', il a été condamné à trois mois de prison avec sursis. Rappelons également cette affaire jugée par le tribunal correctionnel de Nancy (Meurthe-et-Moselle), en date du 19 octobre 2004. Deux époux sont poursuivis pour avoir laissé partir, après un dîner bien arrosé, l'un de leurs convives en état d'ivresse. Dans les heures suivantes, celui-ci se retrouve à contre-sens sur l'autoroute et percute une voiture, provoquant la mort de quatre de ses passagers. L'affaire, très médiatisée, constitue une première juridique, dans la mesure où les prévenus sont de simples particuliers. Les juges ont décidé leur relax.
Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte ses lumières pour mieux délimiter l'infraction prévue par l'article R. 3 353-2 du code de la santé publique. Le prévenu est le patron d'un bar auquel on reproche d'avoir servi des boissons alcoolisées à des clients manifestement ivres.
Voici le déroulé des faits : après avoir quitté l'établissement dans lequel ils ne contestent pas avoir consommé des boissons alcooliques, deux compères sont victimes d'une agression. Ils se défendent vigoureusement et font appel aux services de police. Ces derniers, arrivés sur les lieux de l'agression, enregistrent la plainte, mais relèvent, par ailleurs, que les plaignants sont en état d'ivresse. Au cours de leur enquête, les policiers ont connaissance du bar où l'alcool a été consommé. Le ministère public décide alors de poursuivre le patron du bar, en application de l'article R. 3 353-2 du code de la santé publique. Le tribunal de police, juge en matière de contravention, relaxe le prévenu. Selon lui, l'ivresse manifeste n'est pas établie au moment où l'alcool a été servi, mais postérieurement, lors de l'interpellation dans la rue. Le parquet se pourvoit en cassation contre ce jugement de relaxe.
S'appuyant sur les procès-verbaux de police joints au dossier, la Cour suprême a approuvé le jugement du tribunal de police. Les juges de cassation ont relevé qu'en l'espèce, l'état d'ivresse manifeste n'est établi qu'au moment de l'agression et de l'intervention de la police qui s'en suit, et non à l'instant de la consommation d'alcool. Or, le texte ne peut être appliqué que si les services de police ont constaté l'état d'ivresse manifeste au moment où le patron du bar sert de l'alcool. Il doit être interprété strictement.
Ce principe juridique a déjà fait l'objet d'une chronique dans La Vigne, en octobre 2003, au sujet de la conduite en état d'ivresse. Dans cette affaire, la Cour de cassation affirmait que le dépistage de l'alcoolémie ne peut s'effectuer sur une personne qui n'est plus au volant depuis au moins 1 h 15.
Référence : Cour de cassation, chambre criminelle, 8 juin 2005, n° 0 487 039.