ImprimerLa coopérative de Trets, dans les Bouches-du-Rhône, a gagné la confiance de ses clients au prix d'une totale remise en question.
'Il n'y a pas si longtemps, le rosé avait mauvaise réputation, commence Eric Boyer. Pour protéger ce vin fragile, les vinificateurs abusaient parfois du sulfitage, ce qui provoquait des maux de tête chez les consommateurs. ' Ces accusations ne pouvaient pas le laisser de marbre : la coopérative de Trets (Bouches-du-Rhône) qu'il dirige produit surtout du rosé (22 000 hl). Au début des années quatre-vingt-dix, elle décide de faire la chasse au SO 2. Elle remet en question toute la chaîne de production. ' Le SO2 est l'intrant le plus dangereux pour la santé ', estime Eric Boyer.
Une première vague d'investissement permet de moderniser l'équipement en froid avec des échangeurs fixes dans les cuves, et un stockage au froid du vin en vrac et des bouteilles. Puis, les anciennes cuves en ciment, poreuses, sont revêtues en résine époxydique. Un pressoir pneumatique, à cage fermée, remplace l'ancien pressoir mécanique à impulsion. Eric Boyer fait installer un système complet d'inertage des cuves de stockage et de tirage. L'ensemble de ces mesures permet de réduire l'oxydation du vin, donc les besoins en SO 2.
' On a également changé notre façon de sulfiter. On fractionne davantage les apports, et on homogénéise mieux les cuves sulfitées. ' Dans la même logique, il remplace la stabilisation tartrique à froid par l'électrodialyse. ' En sortant du froid, le vin est sensible à l'oxydation. Or, il était brassé à l'air lors de la filtration, explique Eric Boyer. Maintenant, on n'a plus de maillon faible. On travaille en atmosphère réductrice depuis le pressoir jusqu'à la bouteille. '
Pendant ce temps, au vignoble, la coopérative vit ' un véritable bouleversement culturel '. Elle instaure les premiers cahiers des charges en lutte raisonnée avec des coopérateurs motivés par des primes. Grâce aux efforts de pédagogie et d'intéressement consentis, ainsi qu'à l'embauche d'un technicien en amont, aujourd'hui, 98 % du vignoble sont conduits sous la charte Nutrition méditerranéenne en Provence.
Les cent cinquante adhérents s'engagent à respecter la saveur des produits et la santé des consommateurs. Cela passe, par exemple, par des délais avant récolte plus longs que ne l'impose la réglementation. Le sulfitage au minimum et la conservation des vins au froid font aussi partie de la charte. En contrepartie, la coopérative bénéficie de la marque Nutrition méditerranéenne en Provence, déposée en 1998 par la chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône, et qui regroupe aussi des producteurs de fromage de chèvre et d'huile d'olive.
' Des vignes mieux soignées donnent des raisins plus sains, et des vins qui nécessitent moins de sulfitage , explique Eric Boyer. Mais cela ne s'est pas fait sans mal. Il a fallu passer de la civilisation de l'oral à celle de l'écrit. ' Eric Boyer suit régulièrement des formations. Cela lui a permis d'établir seul un plan d'analyses des risques, en suivant le Guide des bonnes pratiques d'hygiène de la filière vin. Il a relevé des points critiques et mis en place des mesures préventives. Il a éliminé tout ce qui peut laisser des résidus de métaux lourds et des mauvais goûts dans les vins : il a remplacé toutes les vannes, la robinetterie ou les corps de pompes en bronze et en laiton par de l'acier inoxydable.
La cave a banni les produits de nettoyage à base de chlore qui peuvent laisser des résidus nocifs ou provoquer des goûts de moisis. ' On a créé des locaux spécifiques pour stocker tous les intrants. On a beaucoup gagné avec cette organisation. C'est plus rationnel ', affirme-t-il. Comme le demande la nouvelle législation, la cave s'inquiète de la traçabilité et du respect de la qualité des vins sortant de ses locaux. Les cavistes ont pour consigne d'exiger de chaque transporteur un certificat de lavage de la citerne avant de la remplir. Ils doivent vérifier que le numéro de cette fiche est bien le même que celui de la citerne. De plus, ils procèdent à un examen visuel et olfactif de la citerne. De quoi s'assurer qu'elle est parfaitement propre !
Ultime précaution : avant de remplir la citerne, ils prélèvent deux échantillons sur la cuve à retirer, deux autres sur le vin une fois mis dans la citerne. Ils les cachettent afin qu'ils servent de preuve en cas de litige. ' Les poches de la citerne sont parfois plombées pour éviter que le contenu soit modifié avant sa destination ', précise Eric Boyer.
' On raisonne de manière globale, sans scinder les soucis de commercialisation, d'environnement et de sécurité alimentaire comme le fait la législation , poursuit-il. Avant cela, le rosé était considéré comme un petit vin. Maintenant, à voir les prix de vente, les côtes-de-provence n'ont pas à rougir face aux bordeaux ! Nos vins correspondent au marché et on est moins touché par la crise. En plein été, je dépense 1 500 euros par mois pour refroidir les cuves, même lorsqu'elles sont vendues et pas encore retirées. Nos clients négociants ont confiance en nos pratiques. Du coup, nos vins sont vendus avant décembre. Cette année, cela m'a permis d'obtenir 30 à 40 euros de plus à l'hectolitre que la moyenne des côtes-de-provence. Cela représente un différentiel de vente de 600 000 euros. '
