Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 2006

Marcelin Albert : le rédempteur déchu

La vigne - n°177 - juin 2006 - page 0

Marcelin Albert fut le porte-parole du Mouvement viticole du Midi de 1907. D'abord porté aux nues, il fut dénigré par ses alliés après avoir rencontré Clemenceau.

Le rédempteur. Voilà comment, au printemps 1907, la population vigneronne du Midi parle de son héros, Marcelin (1) Albert, viticulteur et cafetier à Argeliers (1) (Aude). L'homme au légendaire chapeau et à la barbe noire a fière allure et la verve gouailleuse. Rapidement, il devient le symbole du peuple vigneron soulevé, celui vers qui ' se tournent tous les bras et les coeurs des populations du Midi ', l'initiateur de la ' révolte des gueux '.
Car, depuis 1900, la mévente des vins engendre une situation économique dramatique. En 1905, le Parlement vote une loi contre la fraude, mais elle n'est pas appliquée.

Dans son village, Marcelin Albert entre en guerre ' contre le sucre ', bouc émissaire désigné de la crise. Il se pose en défenseur du vin naturel. Il s'engage contre la fraude. Fils de paysan, né en 1851, il possède 7 ha de vigne.
Aux détracteurs lui reprochant de n'être pas paysan à plein temps, il répond : ' Je m'honore d'être simple vigneron. J'ai un grand amour de la terre. J'y suis attaché par des racines aussi profondes que celles de nos vignes. C'est pourquoi je la défends. '
Il croit en ' l'action de masse '. Le 11 mars 1907, la commission d'enquête sur la crise, nommée par le Parlement, est à Narbonne. Marcelin Albert s'y rend, accompagné de 87 viticulteurs de son village. Le Comité de défense viticole d'Argeliers est né. Il se dote d'un journal, Le Tocsin, organe de la lutte viticole dont le premier numéro paraît le 21 avril.
Marcelin Albert prend la parole de meeting en meeting. Le 5 mai, le docteur Ernest Ferroul, maire de Narbonne, entre en scène. Le 12 mai, il s'empare de la direction politique du mouvement. Parallèlement, les manifestations prennent de l'ampleur : 25 000 personnes à Lézignan (Aude) le 5 mai ; 150 000 à Béziers (Hérault) le 19 mai ; 600 000 à Montpellier (Hérault) le 9 juin. Le 13, soutenant les revendications des viticulteurs, les maires du Midi présentent leur démission.
Mais Georges Clemenceau envoie des troupes vers le Midi avec l'ordre de ramener le calme. Les 18 et 19 juin, elles arrêtent Ernest Ferroul et des membres du comité d'Argeliers. Mais la population soutient ses leaders. La tension monte. Les 19 et 20 juin, les forces de l'ordre ouvrent le feu à Narbonne, causant six morts et des blessés. Deux bataillons composés de soldats issus de la région se mutinent. Le 21 juin, l'Assemblée nationale vote sa confiance à Georges Clemenceau pour sortir de la crise politique.
Contrairement à d'autres leaders, Marcelin Albert ne se rend pas. Il se cache, puis prend le train pour Paris. Il rencontre Clemenceau le 23 juin. A-t-il été manipulé ?

Toujours est-il que Clemenceau lui conseille de se rendre et lui remet 100 F pour reprendre le train. Marcelin Albert accepte. Dès lors, ceux qui l'avaient adulé ne lui pardonnent pas d'avoir ' été acheté ', d'avoir tenté ' de pactiser avec le diable ', avec l'Etat central, avec le Nord au détriment du Sud.
Le 26 juin, il se constitue prisonnier, effectue 44 jours de prison, puis rentre à Argeliers. ' En le brisant, Clemenceau ne s'attaquait pas à lui, mais aux forces politiques qui le manoeuvraient ', analyse Le Vendémiaire en 1957. Les 29 juin et 15 juillet 1907, des lois contre les fraudes viticoles sont votées. Marcelin Albert est hors jeu. En 1910, il part en Algérie. Il meurt en 1921, oublié de ses pairs du Midi.

(1) Ecrits avec un seul l à l'époque, le village et le prénom en prennent deux aujourd'hui.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :