A force de ténacité, Michel Pelletier, vigneron retraité de l'île de Ré, a amené des chercheurs et des techniciens à se pencher sur une treille ancestrale. C'est du chauché gris, que l'on a peut-être eu tort de jeter aux oubliettes...
Dans ce petit jardin de la Couarde-sur-Mer, sur l'île de Ré, la treille sans âge s'élance vers le ciel d'un bleu limpide, noueuse et majestueuse. Michel Pelletier, vigneron retraité et ancien responsable professionnel, regorge de fierté. Sa ténacité et sa persévérance ont été récompensées. Grâce à son obstination, le pied conservé dans le jardin de son frère Jacques a été officiellement reconnu en 2003. Son grand-père le lui avait bien dit : « La treille, c'est un souché gris. » Il lui avait précisé qu'elle était déjà là du temps de son propre grand-père.
Il y a une quinzaine d'années, Michel Pelletier, en quête de l'identité de cette treille, se penche sur des archives historiques. Il découvre qu'à la fin du Moyen Age, les vins de l'ancienne région d'Aunis, en face de l'île de Ré, jouissent d'une grande réputation. A cette époque, il est fréquemment fait mention d'un cépage de qualité, appelé le chauché gris. Il se négocie plus cher que les autres. « J'ai pensé que l'on pouvait faire une relation entre ce chauché gris et le souché gris de mon grand-père », déclare-t-il.
Alerté, le Conservatoire du vignoble charentais de Cherves-Richemont l'intègre à sa collection, déjà riche de 38 variétés. Le 25 août 2003, Thierry Lacombe, ampélographe de l'Inra, le reconnaît comme du trousseau gris grâce à un caractère significatif : les nervures sont collées à leur point de départ. Le diagnostic sera confirmé par des analyses d'ADN.
On suppose que le trousseau gris a été amené du Jura ? où l'on cultive toujours le trousseau noir ? vers l'île de Ré par les moines cisterciens. En France, hors collection de l'Inra, il a disparu. Il reste cultivé sur une centaine d'hectares en Californie, où il se nomme grey riesling. Les baies sont gris foncé, avec une « teinte rosée ». Les grappes sont moyennes. La variété est précoce, assez sensible à la pourriture grise et d'une faible productivité.
Le 25 novembre 2004, un petit aréopage de professionnels goûte, pour la première fois, le vin issu de la microvinification de la vendange de la treille. « C'était pas mal du tout, se souvient Sébastien Juillard, responsable du conservatoire. A la récolte, les raisins étaient riches en sucre (12 à 13°). Ils ont donné un vin assez aromatique, doux et joli en couleur. » Bref, une dégustation prometteuse.
Le conservatoire décide de lancer un essai. Commencé en 2005, il est prévu pour durer neuf ans. Michel Guérande, viticulteur sur 9,5 ha et adhérent de la cave coopérative de l'île (70 adhérents, 620 ha), accepte de le prendre en charge. Il plante deux rangs de 55 pieds. Une moitié des plants provient de la treille de Jacques Pelletier, l'autre des souches de référence implantées au Conservatoire national de Marseillan (Hérault).
Dans la même parcelle, Michel Guérande plante du colombard, sauvignon blanc et merlot blanc, auxquels le chauché gris sera comparé. Il a retenu la densité locale de 4 000 pieds par hectare (2,50 × 1 m).
La première vraie récolte est attendue en 2008. Le chauché gris sera aussi testé pour le pineau des charentes, car ses caractéristiques semblent correspondre aux critères requis. Il est plus aromatique, plus sucré que l'ugni blanc, avec une bonne acidité. Si les résultats sont satisfaisants, le cépage pourrait être remis en culture et connaître une nouvelle vie.